C'était le XXe siècle T.1
Victor-Hugo, est payé 2 francs l’heure. On travaille dix à onze heures. Parfois toute la nuit.
À la fin de 1908, Blériot fait ses comptes : 780 000 francs dépensés depuis 1905. On sait, boulevard Victor-Hugo, que la situation financière du patron n’est pas brillante. Neuilly coûte de plus en plus cher. Et les phares ne suffisent plus à fournir le nerf de la guerre.
Un matin, pendant que Blériot est monté voir l’ingénieur Saulnier – récemment recruté – Henri, le chauffeur, est entré en grand mystère dans l’atelier.
— Vous savez, le patron…
— Quoi, le patron ?
— Il vient de vendre l’autre Panhard.
Chez les Blériot, le train de vie a diminué. Il est évident que l’on ne pourra plus tenir longtemps. Malgré tout, pour Blériot, une certitude : il faut continuer. Plus tard il se comparera, à cette époque de sa vie, au « joueur qui cherche toujours à se rattraper ».
Le 23 janvier 1909, il essaie à Issy-les-Moulineaux un nouvel appareil, le BL XI. Blériot dira encore qu’il a mis à construire cet appareil « la ferveur des naufragés à lier ensemble les planches de leur radeau ».
Il est tout petit, le BL XI : 8 mètres de long et les ailes n’ont que 7,20 m d’envergure. Mais les essais ont été concluants. Un seul problème : le moteur. On a d’abord essayé le R.E.P. de 30 CV. Blériot constate qu’il n’y a que « deux chances sur cent pour qu’un moteur de ce genre tourne une heure sans avarie ». Blériot ne veut rien laisser au hasard. Donc il changera de moteur. C’est Collin qui a préconisé un moteur de moto de course qui, lui, tiendra sûrement l’heure. Le moteur Anzani, du nom de son constructeur, est très rudimentaire ; en fonte brute, il a un jeu formidable, il pisse l’huile, mais il ne casse pas. Anzani exécutera donc pour Blériot un moteur de 25 CV. On le monte sur le BL XI. Tout va bien. Le BL XI vole, il vole admirablement. Et Blériot sent qu’il possède l’appareil auquel il n’a cessé de rêver.
Parallèlement, il a sorti un BL XII, plus volumineux. Il vole tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre. Il gagne des prix, triomphe à des meetings. Il n’est plus l’homme qui tombe toujours. Ceux qui l’applaudissent ignorent qu’il se bat contre la ruine. Certes, il a vendu – et bien vendu – un brevet de phare à l’Angleterre. Certes, l’Institut va lui décerner, conjointement avec Voisin, son prix Osiris, comme à l’un de ceux « qui ont fait le plus progresser l’aviation » : 50 000 francs pour chacun d’eux. Mais cela n’a pas suffi à combler le gouffre.
Alors ? Cette obstination sans faille, ce combat sans relâche, ce courage tranquille : pour rien ? Va-t-il falloir abandonner ? Reléguer le rêve – définitivement ?
Une solution, une seule : frapper l’opinion par un coup d’audace. Donner à l’aviation cet essor industriel à quoi elle n’est pas encore parvenue. Alors, Blériot récoltera enfin le prix de ses sacrifices. Quel exploit frapperait mieux trente-huit millions de Français que la traversée de la Manche ?
Un prix attend le vainqueur de la Manche : celui du Daily Mail , d’une valeur de 25 000 francs. Le règlement est simple mais strict :
1) le vol doit s’effectuer entre le lever et le coucher du soleil ;
2) aucune partie de l’appareil ne doit toucher la mer pendant la traversée ;
3) le vol doit être exécuté par un appareil qui n’est pas sustenté par un gaz plus léger que l’air ;
4) les concurrents doivent fournir la preuve des points de départ et d’atterrissage par des témoignages signés.
Au printemps de 1909, Blériot est décidé. Donc, il faut passer à l’action. Pas de temps à perdre ! Blériot sait qu’il n’est pas le seul à vouloir tenter la course à la Manche. Déjà, on parle de Latham, du comte de Lambert, d’autres.
Pour cette tentative de la dernière chance, il faut de l’argent, encore de l’argent. Cercle vicieux. En juillet, Blériot participe à plusieurs meetings, tente de gagner des prix. Le 13 juillet, il vole d’Etampes à Orléans, 41 kilomètres. Le lendemain, l’avion revient à Neuilly, ayant subi une pluie torrentielle. Le désastre est complet : le fuselage, les ailes – toujours du papier verni ! – tout est imbibé d’eau. La colle, à longues traînées jaunâtres, coule sur l’entoilage. Pour que cela sèche, il faudrait désentoiler. Désentoiler,
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