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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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les invectives. De l’issue de tout cela, cette foule ne doute pas un instant ;
    — Ils seront battus.
    Alors, à quoi bon ? De toute éternité, la foule a méconnu les héros. D’autant qu’il y a de tout dans cette masse compacte. On y voit des figures sinistres, des hommes et des femmes qu’on ne voudrait pas rencontrer la nuit. Comme à toutes les heures troubles, les bas-fonds ont déversé là leur contingent d’inadaptés sociaux. Pour eux, aujourd’hui, c’est la fête à Dublin.
    La première, la vitrine d’un confiseur s’abat sous les pierres qu’on lui a lancées. En un instant, la vitrine est vide. La populace s’engouffre à l’intérieur, s’empare des bonbons, des chocolats. En cinq minutes, on a fait place nette. La fête continue. On pille une chapellerie, une lingerie, un bottier, un tailleur. Le torrent remonte la rue, brise les vitrines, rafle tout. On emporte des robes, des costumes, des chapeaux, des meubles, de l’étoffe, des denrées. Les malins ont rempli des voitures d’enfant.
    Des fenêtres, les Volontaires de la poste considèrent tout cela avec désespoir et honte. Certains sortent, essayent de disperser les pillards :
    — Vous déshonorez la révolution !
    D’autres tirent au-dessus de la tête des voleurs, croyant les effrayer. En vain.
    La foule, maintenant, a envahi l’un des grands magasins de la ville. Fou de rage, Connolly donne l’ordre à douze hommes de « dégager cette racaille à la baïonnette et à la matraque ». Les Volontaires obéissent, frappent à tour de bras parmi les pillards qui s’enfuient en les injuriant :
    — Salauds ! l’armée anglaise vous réglera bientôt votre compte !
    À peine les Volontaires se sont-ils éloignés que la foule revient. Rien à faire. Connolly songe un instant à faire tirer dans le tas. Il hésite. Il renonce. Quand la nuit tombe, on pille toujours. L’armée britannique ne s’est pas manifestée de nouveau.
     
    Le mardi matin, il pleut. Des messagers annoncent que des trains entiers déversent en gare de Dublin des troupes anglaises appelées de province. Si l’on dégarnit la province, c’est que celle-ci ne s’est pas insurgée. Ceux de Dublin sont seuls. Jusqu’au bout ils le resteront. Et ils le savent.
    Par ailleurs, l’armée est passée à l’action. Elle attaque l’hôtel de ville où un certain nombre de Volontaires se sont installés. Elle mitraille les tranchées de Saint-Stephen qui deviennent intenables. Les insurgés les évacuent et se barricadent dans le Collège de chirurgie. D’ores et déjà, il n’est plus possible de communiquer entre la poste, Saint-Stephen, la South Dublin Union et la biscuiterie Jacob. Sur tous les points tenus par les insurgés, la bataille fait rage. De part et d’autre, les hommes tombent. L’artillerie anglaise entre dans la danse. Peu à peu, les Britanniques reprennent le contrôle de tout le périmètre autour du château. Des Volontaires, chassés de leur position, se replient en faisant le coup de feu jusqu’à la poste. On les répartit entre deux positions avancées : l’hôtel Impérial et l’hôtel Métropole. Ainsi pourront-ils briser l’assaut que les Anglais ne manqueront pas de donner à l’hôtel des postes. On l’attend jusqu’au soir. Il ne vient pas. Toute la nuit, les Volontaires, le doigt sur la détente, veillent aux fenêtres. Quand l’aube du mercredi se lève, rien ne s’est produit.
    À 8 heures du matin, la canonnière Helga , qui a remonté la Liffey et s’est embossée à la hauteur du fond Butt, ouvre le feu sur le Liberty Hall. Depuis longtemps, il n’y a plus personne dans le bâtiment, mais les canonniers s’acharnent. Peut-être pense-t-on que là se trouve le quartier général des insurgés. Des trous béants s’ouvrent dans la façade, des pans de mur entiers s’abattent. Après la bataille, il ne restera du Liberty Hall que des ruines.
    Toute la matinée, les Anglais progressent vers la grand-poste. Ils occupent toutes les rues voisines, les ruelles, les toits d’où l’on peut tirer sur le Q.G. rebelle. Face à la poste, ils font de Trinity College une forteresse. Au Palais de justice, l’acharnement est devenu de la férocité. Amers, les insurgés assiégés reconnaissent souvent, parmi ceux qui tentent de les débusquer, l’uniforme des régiments irlandais. Se battre, soit. Mais se battre sous les injures du peuple et les balles d’autres Irlandais ?
    Cependant, ils tiennent.

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