C'était le XXe siècle T.1
sait que, pour aller chez lui, il faut prendre le train à la gare d’Austerlitz. Quand il y parvient, il est tard. Dans la gare, il cherche une banquette, pour passer la nuit. Vers le matin, des militaires ont commencé à arriver. Ils parlent gascon ou basque. Bon signe ! À l’entrée des quais, des civils ont pris position. Ils se sont mis à vérifier les permissions des soldats. Moulia a repéré un groupe, déjà contrôlé. Il le rejoint. Ce sont des Basques. On passe sur le quai. On monte dans le train. Très gentils, les Basques. Pour eux, pas de question : Moulia est un permissionnaire comme les autres.
On a roulé toute la journée.
À la nuit, le train s’est arrêté à Buglose. Un petit village dans les Landes, près de la maison natale de saint Vincent de Paul et près de son chêne qui est un lieu de pèlerinage. Moulia n’a pas envie d’affronter la gare de Dax et ses contrôles. La gare de Buglose lui convient parfaitement. Il descend. Personne ne lui demande rien. Il s’est mis en route vers Dax où il est entré au petit jour.
Il va tout droit au quartier du Sabler, Moulia. Parce que, là, habite le père de Berthe qui travaille pour l’armée. Il frappe. La porte s’ouvre :
— C’est toi, mais tu es fou ? On te cherche partout pour te fusiller. Tu vas te faire prendre et moi avec !
Moulia lui demande seulement de lui prêter son vélo, pour aller à Nassiet, chez lui. Le père de Berthe refuse :
— Si on t’arrête, on saura d’où vient le vélo, et je serai ton complice.
Une seule solution : aller à Nassiet à pied. Quarante kilomètres. Moulia y parvient la nuit suivante. Le village dort. Moulia entend un chien aboyer. Il frappe à la porte de la maison de sa mère. La mère Moulia croit qu’il s’agit de son autre fils, Joseph :
— C’est toi, Joseph ?
— Oui, c’est moi.
La mère Moulia a ouvert la porte. Elle a regardé ce garçon qui attend, dans l’ombre. Ce n’est pas Joseph. C’est Vincent. Alors, elle tombe, comme une masse, sur le carreau.
Bien sûr, la mère Moulia a caché son fils. Trop heureuse qu’il soit vivant. Cela dure des semaines. Souvent, à la nuit tombée, Berthe vient retrouver son Vincent. Des voisins la voient. Certains commencent à chuchoter. Décidément, le village, c’est trop dangereux. Vincent Moulia va s’installer dans les bois. Il se construit une cabane, se fabrique des meubles, s’installe un jardin potager, un lavoir. Jamais peut-être un proscrit n’a connu, au fond des bois, autant de confort.
Un beau jour, quelqu’un le surprend. À son air, Moulia sait tout de suite que l’autre va le dénoncer. Il avertit Berthe qui, sur-le-champ, court prévenir l’abbé Verdier. Le curé n’hésite pas. Il faut que Moulia parte pour l’Espagne. C’est lui, le bon curé, qui a arrangé ça. Pas facile, pourtant, d’entrer en Espagne. Des patrouilles veillent le long de la frontière. Moulia réussit à passer au travers. Le mois de mai 1918 se termine. Un an plus tôt, exactement, avait lieu la mutinerie de Maizy.
Vincent Moulia a refait sa vie en Espagne, à Saint-Sébastien. Berthe l’a rejoint, suivie de l’abbé Verdier qui a tenu à ce que personne d’autre que lui ne les marie. Les Moulia ont eu des enfants. Le travail ne manquait pas. Pourtant, ils n’oubliaient pas le pays. Souvent, Vincent parlait de son histoire. Avoir été traité de mutin, lui ! Avoir été condamné à mort, à la place d’un autre ! Il trouvait ça trop injuste. Les années passaient, et il ne s’y faisait pas.
En 1933, le Parlement français a voté l’amnistie pour les condamnés de la guerre 14-18. Pour Vincent Moulia, un progrès. Il a fallu, pourtant, la guerre d’Espagne pour qu’il regagne la France. On se battait tout près de chez lui. Ses enfants étaient en danger. À Nassiet, on les a bien accueillis. Un voisin, rencontrant Moulia, lui a dit seulement :
— C’est moche, la guerre, hein, Moulia ?
Moulia en a été tout saisi. Il n’y avait jamais pensé.
C’est à ce moment-là seulement qu’il en a pris conscience. D’une voix étranglée, il a répondu :
— Oui, c’est moche, la guerre.
Les Moulia sont allés habiter à Landré, tout près de Nassiet, dans la maison de Berthe. Les enfants sont partis, ils se sont mariés. À leur tour, ils ont eu des enfants. Quand je les ai retrouvés, Vincent et Berthe Moulia habitaient toujours leur petite maison de Landré.
Vincent Moulia,
Weitere Kostenlose Bücher