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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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des cas d’indiscipline et de refus d’obéissance s’étaient produits dans certains régiments stationnés dans la région, mais personne n’y avait prêté attention. Alors, là, il fallut se rendre à l’évidence : quelque chose de grave était en cours. Donc, Conseil de guerre, aussitôt après arrivée de tout un état-major, colonel, commandant, capitaine, lieutenant et deux infirmiers-majors comme défenseurs, nous disait-on. Tous prirent place dans la même salle et procédèrent à la constitution du conseil et immédiatement les interrogatoires commencèrent.
    « Je suivis les débats du début jusqu’au verdict, mais il m’est impossible d’expliquer aujourd’hui par le détail la faute reprochée à chaque accusé. Une seule vous concernant est restée gravée dans ma mémoire, lorsque la parole fut donnée à votre défenseur, un lieutenant, si ma mémoire est restée fidèle.
    « Lors de sa plaidoirie, s’adressant à un moment donné au colonel, [le défenseur] lui dit : "Mais, mon colonel, vous n’allez pas faire fusiller un brave, un glorieux soldat, décoré de la croix de guerre sur le champ de bataille, et promu caporal ?" À cet instant, une voix brutale lui coupa la parole. Gêné par des camarades placés devant moi, il me fut impossible de savoir de qui partaient ces paroles : “Vous, Moulia ? Avec toute votre bravoure et vos décorations, vous auriez dû montrer l’exemple et ramener vos camarades dans le droit chemin. Vous ne l’avez pas fait, vous êtes donc doublement coupable et méritez le poteau d’exécution.”
    « J’avoue qu’à ce moment une larme perla dans mes yeux. Ces paroles ignobles, écœurantes, sortant de la bouche d’un gradé, sans doute excité par un désir de vengeance inavouable, venaient éclabousser d’injures la figure d’un brave.
    « Verdict : cinq condamnés à mort, travaux forcés pour les autres. Vous, les cinq condamnés, fûtes conduits sous le préau de l’école. Une nouvelle scène déchirante devait se produire, le plus jeune d’entre vous tomba en syncope. Est-ce que je me trompe en disant que c’est bien vous, Moulia, qui, en le relevant, l’avez pris dans vos bras, lui parlant ou l’embrassant ? Je ne sais plus, car à ce moment, tous les yeux de mes camarades et de moi-même se noyèrent de larmes en faisant demi-tour pour ne plus voir. Quelle affreuse tristesse ! Le soir, assis sur le bord du trottoir devant la mairie où on nous avait apporté la soupe, personne ne put manger avec appétit. Le déroulement de cet affreux spectacle avait crispé nos estomacs. »
    Il a fait ce qu’il a pu, le lieutenant Vivien. « Mais il n’y avait rien à faire, dira plus tard Moulia. Le verdict était fixé d’avance. Il en fallait cinq, vous comprenez. On appelait ça condamner pour l’exemple. Sur les douze, il y a eu cinq condamnés à mort, cinq dont moi, Moulia Vincent. »
     
    Après le jugement, on a conduit les cinq condamnés à la ferme Duchainay. On les a poussés dans l’une des réserves à betteraves. Ce qu’ils appellent, là-bas, une voûte.
    Aujourd’hui, c’est le fils de Mme Duchainay qui tient la ferme. Avec sa mère et son oncle, il m’a montré les lieux. Autrefois, au fond de la cour, il y avait trois voûtes. Elles ont disparu. C’est dans l’une d’elles que l’on a incarcéré Moulia et ses compagnons. Mais, sur la gauche, il en reste une, identique aux autres. Quand on y pénètre, on se fait une idée très exacte des conditions de la détention des « condamnés pour l’exemple ».
    Ce qui a frappé Moulia en entrant, c’est l’odeur. Elle venait du sol. Une boue gluante, avec des détritus indéfinissables. Moulia raconte :
    — De la boue ou de la merde ? C’est ce que j’ai dit au gendarme Darribère, qui devait rester avec nous à l’intérieur : « On va se coucher dans cette merde ? » J’ajoutai : « Après tout, vous y êtes comme nous. On peut bien faire quelque chose. » Dans la cour, j’avais vu des rouleaux : de fil de fer, des tas de piquets. J’ai proposé au gendarme de construire un treillage pour nous isoler du sol. Le gendarme savait pas. Il est allé demander au lieutenant. Le lieutenant a dit oui. C’est moi tout seul qui ai planté les piquets, qui ai tendu les fils. Du solide.
    Après quoi, Moulia est allé se coucher tout au fond de la voûte. Au bout d’un moment, il a découvert, au-dessus de sa tête, un rai de lumière. En

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