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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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regardant mieux, il s’est aperçu qu’il s’agissait d’une ouverture fermée par une plaque de tôle. Comme le sommet des voûtes se trouvait de plain-pied avec la prairie qui s’étend derrière la ferme, c’est par cette trappe, assurément, que l’on déversait les betteraves. Intéressante, cette ouverture. Sur ce, Moulia s’est endormi.
     
    Au cours de la nuit, une explosion. Énorme. Un avion a lâché une bombe qui est tombée au milieu de la cour. Des éclats ont percé la porte et raté de peu le gendarme Darribère, allongé près du seuil.
    — Voulez-vous changer de place ? demande aimablement le gendarme à Moulia.
    — Moi, au point où j’en suis, je m’en fous.
    Moulia s’installe près de la porte – et s’endort de nouveau. Le lendemain matin, sans que personne le voie, il roule du fil de fer autour d’un piquet qui lui reste de son installation de la veille. Après quoi, il demande à aller aux cabinets. Caché sous son uniforme, il emporte le piquet. Un gendarme l’escorte. Les cabinets sont au-dessus des voûtes, face à la prairie. Au moment où Moulia s’y installe, un obus explose, dans la prairie, à environ cent cinquante mètres.
    Le gendarme, paniqué, l’appelle :
    — Hé ! Moulia ! Viens !
    — Je fais que commencer, chef…
    — Alors, dégrouille-toi !
    Le gendarme s’éclipse. Moulia repère la plaque de tôle ouverte au sommet de sa voûte. Il installe son piquet. Il redescend, désinvolte, rentre dans sa prison.
    Dans l’après-midi, un nouvel obus tombe dans la cour. De nouveau, la porte est perforée. Un capitaine de gendarmerie entre, un peu plus tard, dans la prison :
    — Triste nouvelle. Nous avons perdu trois hommes. Qui aura le courage d’aller ramasser les morceaux ?
    Aujourd’hui, Mme Duchainay se souvient du carnage. Elle se souvient de ce gendarme à qui l’explosion avait arraché un pied et qui, obstinément, se traînait à travers la cour pour retrouver ce pied.
    Une fois encore, Moulia est volontaire. C’est lui qui « ramassera les morceaux ».
    Trois jours passent. Une nouvelle nuit. Un calme absolu. Moulia ne dort pas. La vérité est qu’il n’est pas encore convaincu qu’il va être fusillé. Il sait que, s’il y a eu de nombreuses condamnations à mort, un grand nombre ont été finalement graciés  (22) . Au milieu de la nuit, il entend des hommes aller et venir dans la cour. Il s’inquiète. Quelque chose de nouveau ? Il prête l’oreille. Pas loin, deux hommes parlent. Ils parlent en patois, le patois de Moulia. N’oublions pas que tout le 18 e est de Pau.
    — Nous allons faire du propre, tout à l’heure, dit l’un des hommes.
    — Moi, je sais ce que je vais faire, dit l’autre. Je tirerai en l’air.
    Moulia a compris tout de suite. Qui n’aurait pas compris ? Puisque le peloton d’exécution est déjà là, il ne reste pas une minute à perdre. Il se déchausse. Il réveille le gendarme Darribère, dit qu’il veut aller aux cabinets. Furieux, Darribère :
    — Tu nous emmerdes, fous-nous la paix.
    Moulia insiste. Il a la colique. Darribère, en maugréant, se lève, ouvre la porte, sort. Dès qu’il est sorti, Moulia, sans faire de bruit, tire la porte vers lui, tourne la clé dans la serrure. Enfermé dehors, le gendarme, mais il ne le sait pas encore. Il faut dire que la nuit est très noire. Moulia l’entend appeler :
    — Tu viens, Moulia, nom de Dieu ?
    Il répond :
    — Je mets mes godasses, je vous rattrape, chef…
    Moulia, grimpé sur le lit du fond, soulève la plaque de tôle. Le piquet est toujours là, bien en place, avec le fil de fer. Sans trop de difficulté, Moulia se hisse sur le toit. Dans la cour, le gendarme appelle toujours :
    — Alors, t’arrives, Moulia ? T’étais pressé, qu’est-ce que tu fous ?
    Sur le toit, Moulia se trouve nez à nez avec une sentinelle. Suffoquée, la sentinelle.
    — Qu’est-ce, qu’est-ce, qu’est-ce que c’est ?
    — Bougre de c…, tu ne reconnais pas ton cuistot ?
    Ahuri, le gars le regarde toujours. Alors, d’une poussée, Moulia l’envoie bouler dans l’escalier. À ce moment précis, Darribère finit par s’apercevoir que la porte est fermée. Il se précipite, grimpe à toute vitesse l’escalier qui monte aux cabinets, il crie comme un fou :
    — Moulia, réponds, sacré bon Dieu !
    Mais Vincent Moulia est déjà loin. Il court à travers la prairie. On lui tire dessus. Il n’en court que plus vite.

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