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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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Dès lors il ne vivait plus que d’escroqueries. Quoi de plus éloquent que cette énumération :
    21 juillet 1904. – Paris. Escroquerie, 2 ans de prison, 50 F d’amende.
    28 mai 1906. – Seine. Escroquerie, 13 mois de prison, 50 F d’amende.
    28 mai 1906. – Paris. Abus de confiance, 3 ans de prison, 100 F d’amende.
    5 août 1910. – Lille. Escroquerie, 3 ans de prison, 100 F d’amende.
    20 juillet 1914. – Seine. Escroquerie, 4 ans de prison, 100 F d’amende. Peine accessoire de la relégation.
     
    Le barbu s’est contenté de jeter les yeux sur la fiche. Il l’a reposée, de l’air de quelqu’un qui comprend la plaisanterie. Dautel, lui, ne rit pas :
    — Que sont devenues Mmes Buisson et Collomb, avec qui vous avez vécu, à qui vous avez promis mariage et que vous avez emmenées dans votre villa de Gambais ?
    Quel étonnement dans les fameux yeux noirs ! Quelle admirable surprise, quelle sincérité pour répondre :
    — Qu’en puis-je savoir ?
    Un bref silence pour ménager ses effets. Puis, moqueur :
    — Je ne suppose pas que vous m’accusez de les avoir expédiées à Buenos Aires ?
    — Non, lance Dautel très sec, non : assassinées !
    Landru n’a pas même élevé la voix. Après un bref regard à la jeune femme épouvantée, près de lui, il ajoute seulement, avec une immense politesse – « trop poli pour être honnête », dira Dautel aux journalistes :
    — M’inculper d’assassinats, moi ? C’est bien gros, monsieur le Commissaire, car il s’agit de la tête d’un homme. Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat.
    On interroge la jeune femme. Elle se présente comme étant Fernande Segret, célibataire, artiste lyrique. Elle affirme n’avoir jamais connu à son amant d’autre nom que celui de M. Guillet. Elle l’a rencontré au mois de mai 1917 dans un tramway. Elle était fiancée. Mais « Lucien », avec une courtoisie exquise, a entamé la conversation ; il est descendu en même temps qu’elle. Elle a accepté le rendez-vous qu’il lui donnait, pour le lendemain, à la station Étoile. Elle est devenue sa maîtresse à la fin de juillet 1917. « Lucien » lui ayant promis le mariage, elle a accepté, au mois de janvier 1919, de venir habiter avec lui. En pleurant, elle ne tarit pas d’éloges sur le plus charmant, le plus empressé, le plus délicat des hommes. D’évidence, elle est de bonne foi.
    On fouille Landru. Dans l’une de ses poches, on trouve un carnet. Dautel l’examine aussitôt.
    Tout à coup, sur une page, il repère une liste de noms, tracée de la main de Landru : Cuchet, J. idem, Brésil, Crozatier, Havre, Collomb, Babelay, Buisson, Jaume, Pascal, Marchadier.
    Onze noms. Ce qui saute aux yeux du commissaire, ce sont ceux de Buisson et de Collomb. Deux femmes que l’on n’a plus revues depuis de longs mois. Deux femmes qui ont disparu après avoir connu Landru. Deux femmes probablement mortes, tuées par Landru. ! Deux noms parmi onze .
    Dautel regarde bien en face Landru :
    — Ces noms sont ceux de vos victimes, n’est-ce pas ? Vous avez assassiné onze personnes ?
    Imperturbable, Landru réplique :
    — Je n’ai rien à répondre. Si vous voulez m’accuser d’être l’auteur de ces onze crimes, c’est à vous qu’il appartient d’en faire la preuve.
    Le faux Guillet vient de définir très exactement ce que sera l’affaire Landru.
    Dautel laisse le barbu et son amie sous la surveillance de ses subordonnés, saute dans une voiture qui le conduit à Mantes. Il en revient quelques heures plus tard porteur d’un mandat d’arrêt délivré contre Henri-Désiré Landru, pour meurtres sur les personnes de Mme Collomb et de Mme Buisson. Le commissaire annonce à Landru qu’il va être écroué à la prison de Mantes et à Fernande Segret qu’elle peut rentrer chez elle. Visiblement, la jeune femme ne veut pas comprendre. Elle se jette en sanglotant dans les bras de Landru. Il la serre contre lui, l’embrasse, soutenant toujours ce calme que rien apparemment ne peut ébranler :
    — Tout cela est un malentendu, lui dit-il. L’avenir le dissipera.
    Comme elle s’éloigne, il se met, devant les policiers ébahis, à chanter l’air célèbre de Manon :
    —  Adieu, notre petite table ! …
    Contant l’affaire aux journalistes, Dautel commentera :
    — Nous en étions tous estomaqués !
    Henri-Désiré Landru vient d’entrer dans l’Histoire.
    Avril 1919. La France ne parvient pas

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