C'était le XXe siècle T.1
condamné par erreur. Amnistié, mais non réhabilité. Pourtant l’amicale du 18 e régiment d’infanterie, tout entière, a pris sa défense. Ses officiers ont souhaité instamment qu’on lui rende justice. Le plus ardent partisan de cette révision a été le capitaine Lasserre. À son lit de mort, il regrettait encore d’avoir, dans son rapport, chargé Moulia. En 1952, le secrétaire d’État à la Guerre, Pierre de Chevigné, a autorisé Vincent Moulia à toucher la retraite des combattants.
Assis à la table de M. et de Mme Moulia, je regardais la boutonnière de Vincent. Elle était vierge. Il avait quatre-vingt-onze ans, Vincent Moulia. Qui prendrait l’initiative de réparer une grande faute ? Qui rendrait sa croix de guerre au caporal Moulia ?
Ainsi ai-je conclu mon récit télévisé du 30 juin 1979.
Rarement, je dois le dire, une de mes émissions suscita de telles réactions, aussi immédiates, aussi vives, aussi profondes. Les appels téléphoniques commencèrent le soir même. Dans les jours suivants, chaque courrier m’apportait des lettres en nombre considérable. Tous mes correspondants répétaient : il faut mettre fin au calvaire de Vincent Moulia. Il faut, après tant d’années, une réparation définitive.
Parmi mes correspondants, un Belge, M. Pierre Detourbe, prenait les devants. Il m’envoyait, afin qu’elle fût remise à Moulia, la croix du Feu avec palmes obtenue par son père, Jules Detourbe, pour ses campagnes au 1 er régiment de ligne, du 4 août 1914 au 11 novembre 1918. Un Italien, M. Giorgio Perrini, envoyait à Moulia, en signe de réparation, sa propre croix de guerre italienne, à lui conférée en 1943. M. Perrini, condamné à mort par les Allemands, a pu échapper au peloton d’exécution. Mieux que personne, il pouvait comprendre le drame de Vincent Moulia. Un combattant de 39-45, M. Marcel Conan, caporal au 18 e R.I. – le régiment de Moulia – m’écrivait : « Ma croix de guerre a de la valeur pour moi et la perdre me ferait un peu deuil ; mais si cela pouvait faire plaisir à cet ancien de mon régiment, je suis prêt à la lui remettre, c’est-à-dire à la lui donner. » M. Pierre Laffargue, ancien combattant de 14-18, auteur d’un émouvant récit : l’Abattoir des sacrifiés , m’écrivait en suggérant que soit offerte à Vincent Moulia « en gage d’affection et de solidarité, une croix de guerre gagnée sur le front par un ancien de 14-18 ». M. Laffargue ajoutait : « Si cela est possible, j’offre la mienne. » Les gestes se multipliaient. M. et Mme F. Nison, de Chartres, faisaient parvenir à Vincent Moulia une croix de guerre, avec de la terre de Verdun et des éclats d’obus recueillis par eux. La Fédération nationale des associations d’anciens combattants de Verdun décernait sa médaille à Vincent Moulia.
Ému à son tour, M. Paul Winkler, directeur général de France-Soir , me proposait d’écrire dans son journal une « Lettre ouverte » à monsieur le ministre de la Défense.
Dès le 4 juillet 1979, M. Michel Rocard, député des Yvelines, avait posé au ministre une question écrite. Le 20 août, je recevais de M. Maurice Plantier, secrétaire d’État aux Anciens Combattants, une lettre dont j’extrais les lignes que voici : « Si cet ancien combattant de 1914-1918 a pu échapper à la mort, il réclame aujourd’hui qu’avec sa croix de guerre on lui rende l’honneur. Il ne m’étonne pas que ses camarades de combat se soient émus et souhaitent un geste réparateur. Je partage leur émotion et j’entends bien suivre personnellement ce dossier et user de tout mon pouvoir pour que cette affaire trouve le plus rapidement possible sa solution. »
Ce n’était pas là une vaine promesse. Une réponse à la question écrite de M. Michel Rocard parut au Journal officiel du 15 septembre. Elle précisait : « L’instruction du dossier de M. Vincent Moulia fait apparaître que l’intéressé n’a juridiquement perdu ni son grade de caporal ni le droit au port de la croix de guerre 1914-1918. » Le 19 septembre, M. Maurice Plantier m’écrivait : « Vous pourrez rassurer cet ancien de 1914-1918 : son honneur d’ancien combattant est intact. »
Vincent Moulia n’avait jamais oublié ce jour où, dégradé, on lui avait arraché sa croix de guerre. Depuis, malgré les démarches de ses anciens camarades, nul ne lui avait dit, jamais, qu’il avait retrouvé le droit de
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