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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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porter cette croix de guerre. La réponse officielle du gouvernement était la réparation définitive du tort insupportable fait au dernier survivant des « condamnés pour l’exemple ».
    Le 11 novembre 1979, face au monument aux Morts de son village, entouré de ses camarades anciens combattants, la croix de guerre fut, pour la première fois depuis 1917, épinglée sur la poitrine de Vincent Moulia.

IX

Les aveux de Landru
    12 avril 1919
    Deux hommes étendus sur le palier, au troisième étage de l’immeuble du 76, rue de Rochechouart : les inspecteurs de police Belin et Brandenberger. Ils ont dormi, au cours de cette nuit du 11 au 12 avril 1919, devant la porte de l’appartement où ils savaient que se tenait leur « gibier ». La loi est formelle : on n’arrête pas après la tombée du jour. L’aube les réveille. Les policiers ouvrent les yeux, se redressent, brossent d’un revers de main leurs habits fripés, regardent leur montre : l’heure légale. Un bref échange de regards – et ils sonnent. Aucune réponse. Ils sonnent derechef, plus longuement, plus fort.
    Enfin, derrière la porte, un pas. Une voix :
    — Qui est là ?
    — Je voudrais voir M. Guillet.
    Un silence encore. Un bruit de verrou. La porte s’entrebâille. De l’épaule, l’un des deux policiers la bloque.
    Ce que Belin et Brandenberger aperçoivent dans l’ombre, c’est d’abord un crâne et une barbe. L’homme n’est pas grand, plutôt malingre. Il enveloppe les policiers d’un regard scrutateur, cherchant dans l’instant à tout peser, à tout comprendre. Ses yeux, Dieu sait si les journalistes en parleront. On décrira inlassablement le « regard hypnotique », les « prunelles de fakir », les « yeux de loup ». Il est, ce regard, gênant par sa fixité. Il s’inscrit entre une calvitie presque agressive et une barbe, longue et bien taillée, noire avec des reflets roux.
    — Que me voulez-vous ? demande l’homme.
    — Vous êtes bien le sieur Henri-Désiré Landru ?
    — Je suis Lucien Guillet, ingénieur.
    — Ça va ! Ne faites pas d’histoires. Suivez-nous au bureau de la 1 re brigade mobile. On a des choses à se dire.
    Derrière le barbu, tout à coup, se devine une autre silhouette, celle d’une jeune femme en chemise, sur le joli visage de laquelle l’étonnement le dispute à la peur.
    L’homme, avec une infinie courtoisie, demande qu’il lui soit permis de s’habiller. Les policiers acquiescent, informent la jeune femme qu’elle devra les suivre, elle aussi. Cinq minutes plus tard, le barbu et son amie sont prêts. Si la femme tremble légèrement, on ne peut discerner, sur le visage de l’homme, qu’un calme immense. Il ouvre un tiroir, tend un paquet de Gauloises aux policiers :
    — Excusez-moi, messieurs, je n’aime pas être réveillé brusquement, il me faut quelques instants pour me remettre. Je n’ai pas encore pensé à vous offrir une cigarette.
    De l’ironie ? Pas même. Tout juste un soupçon de désinvolture.
    Une voiture va les conduire – elle, lui et les deux policiers – à la brigade de la rue Greffulhe. On les pousse dans le bureau du commissaire Dautel. Emmanuel Bourcier, l’un des journalistes qui a suivi l’affaire, verra ce Dautel « tout jeune, l’œil vif, le cheveu frisé, assez grand, l’allure d’un commis actif et peut-être rouspéteur  (23)  ». Avec cela, dégingandé, l’allure un peu d’un camelot et, pour lors, tout à la joie de la réussite. Mais le barbu fait l’étonné :
    — Je suis Lucien Guillet, né le 18 septembre 1874, à Rocroi.
    Dautel hoche la tête d’un air entendu. Sur son bureau il saisit un carton, le tend au barbu. C’est la fiche de Henri-Désiré Landru, né à Paris le 12 avril 1869, 41 rue de Puebla, le désignant comme fils d’un chauffeur et d’une couturière en chambre, et ayant effectué des études primaires supérieures à l’école des Frères de la rue Bretonvilliers ; marié à son retour du régiment avec la fille d’une blanchisseuse, Marie-Catherine Rémy qui lui donnera quatre enfants ; ayant travaillé chez un architecte, puis chez un entrepreneur de plomberie ; ayant exploité une fabrique de bicyclettes où il s’est couvert de dettes  (24)  ; ayant fait alors paraître une annonce demandant un commis métreur possédant une bicyclette ; lorsqu’un candidat se présente, Landru l’envoie faire une course – à pied – et s’enfuit avec la bicyclette.

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