C'était le XXe siècle T.2
qu’a fait la montre de Stavisky en tombant par terre, où on l’a retrouvée (4) …
Inutile maintenant de prendre des précautions. À coups d’épaule, on tente d’enfoncer le panneau. Rien n’y fait. On décide de pénétrer par la porte-fenêtre. On fait sauter le verrouillage des volets, on brise un carreau, on entre. Le Gall, pistolet au poing, s’élance le premier. Il contourne le lit, aperçoit une masse noire, là, sur le plancher. Il se penche. Dans la main de Stavisky, un revolver. Le Gall affirmera l’avoir arraché de la main gauche de l’escroc. Pourtant, c’est la tempe droite qui a été trouée par une balle !
On va laisser agoniser Stavisky pendant deux heures. Lentement, irrémédiablement, il se vide de son sang. Or, l’hôpital de Chamonix n’est qu’à deux kilomètres de là et il dispose d’une ambulance.
On arrête Voix, venu finalement aux nouvelles. On convoque un photographe qui prend des clichés de l’homme agonisant. À 18 heures seulement, on emmène Stavisky à l’hôpital de Chamonix. Les médecins constatent qu’il ne lui reste qu’un litre de sang dans l’organisme. À l’époque, la transfusion sanguine n’est pas entrée dans les mœurs. On se bornera donc à le panser – et à attendre.
Stavisky s’éteindra à 3 h 15 du matin, le 9 janvier 1934.
II
Six février ; place de la Concorde
6 février 1934
— À bas les voleurs !
Le cri gronde, surgi d’un océan d’hommes fonçant au coude à coude dans la nuit, silhouettes gesticulantes et furieuses, marée secouée de vagues indécises, de tourbillons désordonnés et d’autant plus redoutables.
— À bas les voleurs !
Combien sont-ils, à la nuit tombée, place de la Concorde, le 6 février 1934 ? Personne n’a été capable de proposer un chiffre exact. Vingt mille ? Trente mille ? À chaque instant, de nouveaux manifestants s’intègrent aux premiers et d’autres s’en vont.
— À bas les voleurs !
Depuis le matin, un vent léger a comme purifié l’air. Purifié : voilà, pour un jour comme celui-ci, un mot malheureux. Ces gens qui s’époumonent et s’élancent vers le pont de la Concorde, pour se voir sporadiquement repoussés par la cavalerie et les gardiens de la paix, bâton blanc levé, veulent justement purifier la République. Et, pour certains, si totalement qu’elle en glissera dans la tombe !
Les voleurs qu’ils dénoncent, ce sont les députés que l’on devine tapis à l’abri de ce Palais-Bourbon dont la colonnade disparaît dans la nuit. Les manifestants de la place de la Concorde ne nourrissent qu’un seul désir, n’affirment qu’un seul dessein : passer le pont, envahir la Chambre des députés, en chasser les occupants. Après ? Ils ne savent pas. L’histoire ne compte pas les émeutes qui n’ont débouché sur rien. Quand elles se muent en révolution, on ne l’apprend qu’après.
Il est 19 h 29. Tout à coup, à droite du pont, dans la direction du Cours-la-Reine et dominant le tumulte, un coup de feu claque. Un témoin dira : « Une détonation discrète, menue, sournoise. (5) »
À cette minute précise, l’émeute se change en tragédie.
L’acharnement qui s’est fait jour, cette colère sans limite, cette rage quasi inexplicable qui a poussé tant d’hommes, pendant tant d’heures, à se jeter contre le service d’ordre, cela ne ressemble nullement aux manifestations, en quelque sorte traditionnelles, qui rythment la vie politique d’une démocratie.
Alors ?
En 1934, les Français vivent toujours dans l’orgueil de la victoire de 1918. Quinze ans déjà que les survivants de la tuerie rentraient chez eux, assurés non seulement d’avoir gagné la der des ders , mais de voir s’instaurer « une ère de grandeur et de fierté » érigée au prix de leurs souffrances (6) . Quinze ans qu’ils avaient cru revenu le temps de l’équilibre économique, de la stabilité des marchés, du franc-or conquérant et du triomphe du 3 %.
Indicible, la déception ! Ce qui a caractérisé l’après-guerre, c’est une inflation d’autant plus cruelle que ceux qui la supportaient avaient toujours ignoré la seule existence du phénomène. Toute une classe sociale vivait avant 1914 de ses rentes, et celles-ci avaient la solidité du granit. Après 1918, la plupart des rentiers se sont vus à peu près ruinés. Les porteurs d’emprunt russe ont tout perdu.
Avec Poincaré et sa stabilisation du franc,
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