C'était le XXe siècle T.2
vingt-sept signataires, son texte ne sera pas proposé aux parlementaires.
Le vote qui va commencer n’apparaît plus que comme une formalité. Déjà, la République est morte.
Pour l’historien comme pour le simple électeur, ce processus restera toujours une énigme. Un coup d’État peut s’expliquer. Un putsch, une révolution violente se rencontrent à tous les carrefours de l’Histoire. Que ceux-là mêmes qui s’étaient voulu les plus fermes soutiens du régime – la majorité des socialistes, la majorité des radicaux, la Chambre issue du Front populaire – aient non seulement prêté la main à l’assassinat de la République, mais y aient applaudi, voilà qui passe l’entendement.
Ne nous résignons pas au mystère. Tâchons de comprendre.
Rarement l’atmosphère de Bordeaux en juin 1940 – inextricable mélange de tragédie et de dérisoire – a été aussi bien restituée que Maurice Schumann (73) . La France officielle s’est ruée dans la capitale de la Gironde. Elle y campe : à la préfecture, au domicile réquisitionné d’un négociant en vins, dans une simple chambre d’hôtel. Aucun parlementaire ne sait exactement où se trouvent ses collègues. Dans la nuit du 17 au 18 juin, Édouard Herriot, président de la Chambre, souhaitant que Lyon, dont il est depuis si longtemps maire, soit déclaré ville ouverte, mettra plus d’une heure à découvrir la résidence du maréchal Pétain, nouveau président du Conseil.
Cette capitale provisoire, Emmanuel Berl l’a vue comme la capitale du désarroi : « La ville grouillait de parlementaires, de fonctionnaires, de journalistes surmenés, de réfugiés hagards, d’affairistes avides, de fuyards terrifiés. Plus de chambres dans les hôtels, plus de tables dans les restaurants : les édifices publics sont tous réquisitionnés par les ministères. Les Bordelais eux-mêmes voyaient leurs maisons envahies par les Parisiens. »
Ce climat, ceux qui bientôt vont voter la mort de la République l’ont connu, traversé, éprouvé. Avant de parvenir à Bordeaux, ils ont suivi les routes de l’exode, se sont mêlés à des piétons harassés, à des automobiles surchargées, à des charrettes tirées par des chevaux épuisés. Ils ont assisté à la fuite de tout un peuple. Ils gardent dans les oreilles les hurlements hallucinants des sirènes des Stuka qui fonçaient, pour la mitrailler, sur cette foule innocente. Ils ont croisé ou dépassé les convois militaires désorganisés. Ils n’ont pas osé soutenir le regard des soldats en déroute, insoutenable reproche.
À Bordeaux, ces parlementaires tournent en rond. À chaque instant, ils se heurtent aux murs de l’impuissance et de la peur. « Dans ce bouillon de culture, toutes les nouvelles circulent, même les plus folles. Toutes les passions s’exaltent ou se masquent, toutes les intrigues virulent. Que faut-il faire ? Où faut-il aller ? Tout le monde a peur (74) . »
C’est le 14 juin que le gouvernement s’est installé à Bordeaux. Dès la première heure, un mot s’est trouvé sur toutes les lèvres : armistice. Le généralissime Weygand, qui a succédé à Gamelin, réclame depuis le début du mois que l’on traite avec celui qu’il considère sans appel comme le vainqueur. Le 12, au château de Cangé – sur le Cher – où s’est réfugié Albert Lebrun, président de la République, Weygand a solennellement déclaré, devant les vingt-trois ministres du gouvernement Paul Reynaud, que l’armistice ne pouvait plus être évité. Le 13, au même château de Cangé, à l’appui de cette thèse combattue par un grand nombre de ministres, un renfort capital s’est découvert. Le vieux maréchal Pétain, vice-président du Conseil, a tout à coup demandé la parole. Étonné, Lebrun la lui a sur-le-champ accordée.
Le vainqueur de Verdun a tiré une note de sa poche. Le jour déclinait, il n’y voyait pas assez. Il est allé se placer dans l’embrasure d’une fenêtre. Dans le silence, la voix chevrotante, bientôt si familière aux Français, s’est élevée. Pétain se déclarait sûr, lui aussi, qu’il fallait solliciter un armistice. Fermement, il répondait à ceux qui, depuis la veille, envisageaient de résister dans le « réduit breton », ou encore de transporter l’appareil de l’État en Afrique du Nord. Pour le Maréchal, le réduit breton était un leurre, le départ hors de France un crime : « Priver la France de
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