C'était le XXe siècle T.2
ses défenseurs naturels dans une période de désarroi général, c’est la livrer à l’ennemi. C’est tuer l’âme de la France, c’est par conséquent rendre impossible la renaissance. » La voix s’est assurée quand Pétain a abordé ce passage : « Je déclare, en ce qui me concerne, que, hors du gouvernement s’il le faut, je me refuserai à quitter le sol métropolitain. Je resterai parmi le peuple français pour partager ses peines et ses misères. » La conclusion résumait tout : « L’armistice est, à mes yeux, la condition nécessaire de la pérennité de la France éternelle. »
Le vieux soldat a parlé. Il faut avoir vécu en ce temps-là, avoir considéré partout son image multipliée, pour mesurer la dimension de ce que l’on pourrait appeler : le phénomène Pétain. Depuis 1918, les Français s’enorgueillissent de leur victoire – et se complaisent dans son souvenir. Aux yeux de beaucoup, Pétain incarne personnellement cette victoire. Le destin lui a accordé un physique qui correspond au concept même que l’on peut se créer d’un grand soldat victorieux. Qui ne serait impressionné par l’imposante stature de cet octogénaire, son pas majestueux, le visage « marmoréen », le regard bleu que l’on est tout prêt à assimiler à un autre bleu, celui de la ligne des Vosges ?
De plus, ce militaire est tenu pour républicain. On l’oppose à Foch, élève des jésuites. On dit volontiers que Pétain n’a rien de clérical. Ce qui est vrai. Son mariage, à soixante-cinq ans, avec une divorcée va jusqu’à rassurer. Les démocrates citent le mot du Maréchal, découvrant trop tard que son mariage ne s’imposait pas :
— J’attendais depuis vingt ans. J’aurais dû attendre encore dix ans !
Républicain ? Depuis quelques années, tous n’en sont plus si sûrs. Pendant l’entre-deux-guerres, pour certains milieux d’extrême droite, Pétain est incontestablement apparu comme un recours. Ceux qui songeaient à substituer à la République un État autoritaire ont volontiers imaginé le Maréchal à sa tête. Les conjurés de la Cagoule ont pensé à lui. Et d’autres, comme le colonel de La Rocque : des contacts ont été pris, sinon avec Pétain, du moins avec certains de ses collaborateurs. L’un des traits dominants du caractère du Maréchal est la prudence. Il veut bien que l’on avance son nom mais lui ne complote jamais. Très longtemps, il est resté à l’écart de la politique mais, en 1934, quand il est devenu ministre dans le gouvernement Gaston Doumergue, il a déclaré :
— Je viens de découvrir la politique. C’est bien amusant.
Désormais, chaque semaine, après dîner, des personnalités de formations différentes mais d’opinions identiques se relaient auprès de Pétain pour lui donner des « leçons de politique ». Un militant royaliste au cerveau quelque peu échauffé, Raphaël Alibert, préside à cette singulière école du soir (75) .
C’est le temps aussi où paraissent des brochures qui présentent le Maréchal comme la solution providentielle. En 1935, Gustave Hervé publie : C’est Pétain qu ’ il nous faut . On découvre dans cet opuscule l’annonce de la plupart des mesures qui seront édictées à Vichy en 1940 : ce qui paraît moins curieux quand on sait que Raphaël Alibert est aussi l’inspirateur de la brochure d’Hervé. Pétain n’a pas approuvé la brochure. Il ne l’a pas non plus désapprouvée. On retrouvera Alibert, en 1940, conseiller privilégié du maréchal.
Ce qu’il ne faut jamais oublier, quand on parle de Philippe Pétain, c’est l’âge. Dans sa vie, tout est arrivé tard. Trop tard. En 1914, proche de la soixantaine et sur le point de prendre sa retraite comme colonel, c’est à la guerre qu’il a dû d’échapper à une définitive obscurité. Le recevant à l’Académie française, Paul Valéry lui dira : « Vous êtes celui d’entre nos chefs qui, parti devant six mille hommes pour la guerre, l’avez achevée à la tête de trois millions de combattants. »
L’âge, oui. Quand il devient pour la première fois ministre, il a soixante-dix-huit ans. Quand on fait de lui un ambassadeur auprès de Franco, il en a quatre-vingt-un. La charge de l’État lui sera remise à quatre-vingt-quatre ans. Avec cela, une forme physique éblouissante, une autorité si naturelle qu’elle en impose à tous, un magnétisme que subissent même ses adversaires. Le
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