C'était le XXe siècle T.2
23 juillet 1945, au premier jour de son procès, l’enceinte de la première chambre de la cour d’appel ne sera peuplée que de ses ennemis. « Faites entrer l’accusé ! » Il paraît en petite tenue de maréchal de France, uniforme kaki, médaille militaire, ceinturon de soie, gants blancs. Un silence écrasant l’accueille. Alors, il élève son képi et salue à la ronde. Et c’est l’événement « stupéfiant » : ce public se lève, d’un seul mouvement. Plusieurs des gardes républicains se mettent spontanément au garde-à-vous, sans qu’aucun ordre leur ait été donné.
Ambitieux ? Sûrement. La vie lui a tout apporté mais il lui demande toujours davantage. Lui aussi se fait une certaine idée de la France mais, de plus en plus, avançant en âge, il a tendance à assimiler cette France-là à sa propre personne. Il ne méconnaît pas l’existence de cette entité qui a nom : le maréchal Pétain. Le jour vient où le personnage se décide à faire corps avec l’entité.
L’armistice : tout est là. La véhémence de Weygand, l’adjuration pathétique de Pétain n’ont pas convaincu le président du Conseil Paul Reynaud. Celui-ci ne nie pas la réalité de la défaite – qui l’oserait ? – mais un armistice séparé lui semble contraire à nos engagements avec l’Angleterre. Reynaud penche pour une capitulation de l’armée. Le gouvernement se transporterait en Afrique du Nord, où l’on ferait passer tout ce que l’on pourrait rassembler de troupes et de matériel, et surtout cette flotte dont Darlan a fait la deuxième du monde. Sur ces deux conceptions, le gouvernement se divise, se déchire, s’affronte. Jusqu’au bout, Reynaud espérera que les États-Unis viendront au secours de la France. Roosevelt, prisonnier de son électorat isolationniste, répond que c’est impossible.
Dès l’arrivée du gouvernement à Bordeaux, Reynaud sait qu’il a perdu la partie. Sur tous les fronts, l’armée française reflue. Dijon et la Saône sont atteints par l’ennemi, des colonnes blindées allemandes fondent sur La Charité-sur-Loire, la forêt de Fontainebleau est occupée. Weygand transmet à Lebrun le message angoissé du général Georges : « Grave situation de ravitaillement pour les troupes et les populations civiles repliées. Manœuvres difficiles en raison embouteillement des routes et du bombardement des voies ferrées et des ponts. Nécessité absolue prendre décision . »
Maintenant, Reynaud considère que l’armistice est inéluctable. La majorité des ministres s’y est ralliée. De son propre échec, le président du Conseil tire la leçon : il démissionne. Albert Lebrun, qui traverse tous ces événements comme un cauchemar, s’épouvante devant cette soudaine vacance ministérielle. Il interroge Reynaud : à qui doit-il s’adresser ? Quelle est la personnalité qui, à son avis, serait la mieux qualifiée pour demander l’armistice ?
— Le maréchal Pétain, répond Reynaud.
Quoique Paul Reynaud s’en soit souvent défendu par la suite, cet avis donné par lui – qui pèsera si lourd dans l’Histoire – n’est pas discutable.
D’ailleurs, Lebrun obtempère sur-le-champ. Il convoque le Maréchal, lui offre de constituer le gouvernement. Stupéfait, Lebrun voit Pétain tirer une liste de sa poche : celle de ses ministres ! Voilà un Lebrun secrètement ravi. Avec une admirable naïveté, il confiera, au procès Pétain, que « dans la grande tristesse du moment, il avait tout de même eu un petit soulagement : alors que des constitutions de ministère duraient parfois trois ou quatre jours, il en avait un à la minute…».
Le nouveau gouvernement comprend seize ministres et deux sous-secrétaires d’État. Parmi les nouveaux, des « techniciens » : Weygand, Darlan, le premier président de la Cour de cassation Frémicourt. Alibert est sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil.
Comme un diable surgi de sa boîte, Pierre Laval va entrer en scène. Depuis plusieurs jours, il est persuadé que son heure va sonner. Il tend son énergie qui est immense. À ses yeux, l’armistice est déjà un épisode dépassé. Ce qui l’intéresse, c’est l’après-armistice. Pierre Laval a toujours détesté la guerre. Si, avec une apparente maestria, il a glissé de l’extrême gauche à la droite la plus conservatrice, il n’a jamais répudié l’idéal de sa jeunesse : le pacifisme. S’il a milité
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