C'était le XXe siècle T.2
longtemps dans les rangs du parti socialiste, c’est que les socialistes se proclamaient le parti de la paix. Pendant la Grande Guerre, il a souhaité l’arrêt des hostilités : il a cru possibles des conversations à Stockholm entre socialistes des deux camps. Ce qui était aller très loin. Après 1919 ; il s’est voulu le disciple passionné de Briand – parce que Briand déclarait la paix à l’Europe. En 1935, quand Laval était président du Conseil, toute sa politique a tendu à éviter la guerre. Sans se préoccuper des idées ni des régimes de ses alliés éventuels, il a cherché à isoler l’Allemagne :
— Moi, j’aurais négocié avec le diable !
À Bordeaux, ce qui hante les veilles et les nuits de Pierre Laval, c’est la négociation qui, fatalement, va suivre la guerre.
L’Angleterre ? Elle sera vaincue avant quinze jours. Il importe, dans la course au traité de paix, de la battre de vitesse. Convaincu qu’il n’est pas né pour les seconds rôles, Laval se sent un négociateur-né. Il est l’homme des contacts. La fierté d’avoir efficacement traité avec des hommes aussi foncièrement différents que Mussolini et Staline nourrit ses certitudes autant que ses rancœurs. Il estime que ses collègues du Parlement, en l’éloignant du pouvoir et en l’empêchant de poursuivre sa grande politique étrangère – c’est lui qui dit grande – ont commis, bien plus qu’une faute, un crime. C’est la République qu’il en accuse.
Comment ne pas s’attarder à ce paradoxe ? L’homme qui avait adhéré au parti socialiste en 1903, à l’âge de vingt ans, et qui aussitôt s’était intégré à la tendance la plus extrême, celui-là non seulement ne croit plus au socialisme, mais moins encore à la démocratie. La République parlementaire l’a empêché de mettre au service de son pays ses forces et ses talents. Il ne le lui pardonne pas.
À Bordeaux, il se voit en réserve de la France. Avec sa gouaille facilement faubourienne, son éternelle cigarette au coin des lèvres, il répète qu’il a « roulé » Mussolini, « roulé » Staline. Maintenant, il veut « rouler » Hitler. Parmi tout le personnel politique français, il est persuadé d’en être seul capable : à condition d’avoir les coudées franches et de ne pas dépendre, à tout instant, des foucades de parlementaires caractériels. Une seule solution : un nouveau régime. Après quoi, la route d’un autre Congrès de Vienne lui sera ouverte. Le fils de l’aubergiste de Châteldon n’a guère accoutumé de cultiver la modestie et la référence à Talleyrand ne fait naître en lui aucun complexe.
C’est à l’hôtel de ville qu’on le voit surtout, en compagnie du député-maire, son ami Adrien Marquet, l’un des animateurs du parti néo-socialiste. Il va, vient, vêtu de l’un de ses éternels costumes croisés à rayures. Sur la chemise crème, la célèbre cravate blanche. La mèche noire, peignée vers la gauche, glisse sur le front. Le teint est si brun que l’on évoquerait volontiers un malade atteint de jaunisse. Il lui vient de sa mère, Claudine, la robuste paysanne d’Auvergne.
Entre l’auberge de Châteldon et l’hôtel de ville de Bordeaux, un étonnant destin s’est inscrit qui lui a permis d’abord – à la force du poignet – de passer son baccalauréat, puis – étant pion à Lyon – sa licence en droit. Après quoi, la réussite. Avocat, député, sénateur, ministre, président du Conseil.
— Comment ne serais-je pas républicain, demandait-il, quand la République m’a permis d’être ce que je suis ?
Rien n’est simple en histoire. Rien n’est simple dans la vie de Pierre Laval. Républicain, il l’a été, foncièrement, logiquement. Plus tard, face à la camarilla maurrassienne de Vichy et à la presse pronazie de Paris, il reviendra peu à peu à la République. Son antirépublicanisme de 1940 résulte d’une opportunité – ou d’un opportunisme, comme on voudra. Pour mieux « rouler » Hitler, il faut tuer avec éclat la République. Après, on verra bien.
Face à face, le Maréchal et Pierre Laval. Laval sait que, si Pétain l’a convoqué, c’est pour lui offrir un ministère. Il ne se trompe pas :
— J’ai pensé à vous pour la Justice.
Soudain sursaut de Laval. Ce qu’il veut, ce sont les Affaires étrangères. Le Maréchal dit qu’il a promis le maroquin à Baudouin. Laval se fâche. Pétain va
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