C'était le XXe siècle T.2
qualifié, capable de mener à bien cette tâche. On vous procurera l’aide et le soutien nécessaires. Vous dépendrez directement du camarade Beria et de personne d’autre, mais c’est vous qui avez la pleine responsabilité de cette mission. C’est vous qui devez prendre personnellement les dispositions nécessaires pour envoyer sur place l’équipe qui quittera l’Europe et se rendra au Mexique. Vous écrirez vos rapports de votre main.
Une double poignée de main va ponctuer l’ordre que vient de donner la maître de la Russie. Trotski est condamné.
Une réelle conviction avait longtemps habité ceux qui avaient entrepris la révolution d’octobre 1917 : Léon Davidovitch Trotski succéderait à Lénine. Son itinéraire, à lui seul, semblait le démontrer. Dans ses premières années de militantisme, il s’était, comme beaucoup de révolutionnaires, choisi un pseudonyme. Cependant que Joseph Djougachvili préférait, en toute modestie, « homme d’acier » (Staline), Léon Bronstein, fils d’un cultivateur juif d’Ukraine, s’était souvenu d’un gardien de prison qu’il avait connu naguère. Ainsi Bronstein s’était-il transformé en Trotski.
Dès 1905 – il a vingt-six ans –, il est président du soviet insurrectionnel de Saint-Pétersbourg. Jeté en prison, il s’en évade, il émigre. Son idéologie se forme. En 1917, la révolution le surprend aux États-Unis. Il rentre en Russie, se retrouve président du soviet de Petrograd puis président du Comité militaire révolutionnaire. Il organise et dirige l’insurrection d’Octobre. Après la prise du pouvoir, il sera commissaire aux Affaires étrangères. Il est petit, râblé, pointant en avant une courte barbe, ayant toujours l’air d’être prêt à bondir.
Il ne fait aucun doute, pour la majorité des Russes ralliés au bolchevisme, que la victoire a été l’œuvre de deux hommes : Lénine et Trotski. Si différents qu’ils aient été, ils symbolisent à eux deux le nouveau régime.
Quand s’engage la guerre civile, Trotski galvanise le peuple. On lui doit la formation de l’Armée rouge. Pendant deux ans et demi, dans son fameux train blindé, il parcourt la Russie, colmate les brèches ouvertes par les blancs, enlève ses troupes dans d’irrésistibles assauts et écrase définitivement l’adversaire. Au milieu même de l’action, il est resté un théoricien. Victor Serge l’a montré, courant d’un front à l’autre et dictant en même temps une réponse fulgurante au socialiste allemand Karl Kautsky.
À la mort de Lénine, le prestige de Trotski se révèle immense : la jeunesse intellectuelle de Moscou et de Petrograd ne jure que par lui (81) . Qui, sinon lui, pourrait succéder à Lénine ? Erreur. Insidieusement, le règne de Staline a commencé. La parole de Trotski enfièvre d’immenses foules. Staline – lui – préfère l’ombre au sein de laquelle, patiemment, il a posé les jalons de son ascension. Trotski est célèbre à l’étranger où il a beaucoup voyagé. Staline, qui n’a jamais quitté la Russie, préfère le travail de bureau.
Trotski foule aux pieds les honneurs et les titres. Quand, en 1921, Staline est nommé secrétaire général du parti communiste, Trotski ne comprend pas que, de ce titre à ses yeux sans importance, Staline va faire le tremplin de son propre pouvoir. Il va lui permettre de placer partout des hommes dont la fidélité assurera sa toute-puissance.
Sous l’influence de Staline, le parti décide, après l’échec des révolutions d’Allemagne et de Hongrie, de donner le pas à la socialisation de la seule URSS plutôt que de préparer la révolution mondiale. Furieux, Trotski dénonce ce qu’il appelle une abdication. Quand il voit la centralisation bureaucratique assurer sa main-mise sur tout le pays, il multiplie les critiques. Impitoyable, Léon Trotski.
Quelques années plus tard, une opposition aussi catégorique aurait entraîné son arrestation, une parodie de jugement et une exécution immédiate. Staline n’a pas encore les moyens de se conduire ainsi. Il doit tenir compte de la popularité de Trotski, restée considérable. Il se contente, en 1927, de le faire exclure du parti communiste. Manœuvre suprêmement habile : il a rogné les griffes du lion. Après quoi, en 1929, l’expulsion de Trotski d’Union soviétique va être reçue par beaucoup de communistes comme une preuve de la magnanimité de Staline.
L’homme du
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