C'était le XXe siècle T.2
cela, le préfet n’a fait que sourire. Sa haine des communistes, il ne l’a jamais cachée. Il n’a pas ménagé non plus les socialistes. Pourquoi l’épargnerait-on ? Cependant, les insinuations sont devenues des accusations : Chiappe n’est-il pas lui-même compromis ? N’a-t-il pas complaisamment fermé les yeux sur les agissements de l’escroc Stavisky ?
On veut en avoir le cœur net. M. Mossé, inspecteur général des services administratifs du ministère de l’Intérieur, est saisi d’une enquête concernant Jean Chiappe. Parallèlement, son collègue Plythas est chargé d’une mission portant sur le comportement des services de la Sûreté générale. Le travail exemplaire de l’inspecteur Mossé révélera que la préfecture de police n’a rien ignoré des escroqueries de Stavisky. Plusieurs rapports très explicites ont été rédigés : ceux du commissaire Pachot, ceux de l’inspecteur Cousin. Le mécanisme de l’escroquerie du mont-de-piété d’Orléans a été démonté et dénoncé dans tous ses détails. Les rapports ont été adressés au Parquet qui n’a pas bougé. M. Guernut, président de la commission d’enquête parlementaire, reconnaîtra que la préfecture de police a rédigé un total de dix-huit rapports sur Stavisky, tous transmis au Parquet . Xavier Guichard, directeur de la police judiciaire, exprimera la colère de ses services devant l’impunité de Stavisky : « Pendant quatre ou cinq ans, mes collaborateurs n’ont pas décoléré de la liberté provisoire de Stavisky (11) . »
Une collusion de Chiappe avec Stavisky ? Le préfet de police a reçu l’escroc, c’est vrai, mais à la demande de Dubarry, directeur de journal, dont l’honorabilité n’avait alors été mise en cause par personne. M. Mossé précise les conditions dans lesquelles Stavisky, en février 1933, a été accueilli par le préfet : « M. le Préfet l’a reçu debout, au cours d’un entretien de quelques minutes, au cours duquel il l’a invité tout d’abord à fournir des gages de son amélioration morale et s’est déclaré disposé à examiner ses prétendus griefs contre la police judiciaire, à condition qu’il les formulât par écrit. Il a alors fait demander quelle était l’affaire instruite contre Stavisky par la police judiciaire, et il lui a été remis un rapport Cousin du même mois, établi sur réquisition du Parquet, à la suite d’une dénonciation anonyme… M. le Préfet l’a donné à M. Zimmer, son chef de cabinet, jusqu’à réception du mémoire écrit annoncé par Stavisky, mais ledit mémoire n’a été fourni qu’en octobre et n’a paru comporter aucune suite…»
Le reste ? La familiarité avec l’escroc, les libéralités de Stavisky à la Maison de santé des gardiens de la paix ? Calomnies, affirme M. Mossé. Il attribue à des subordonnés des négligences mineures à porter au passif de la préfecture de police.
De quoi justifier la note rédigée dans son journal par Édouard Daladier, après consultation du rapport : « Les faits signalés ne justifiaient pas une révocation et l’honorabilité du préfet de police n’était nullement engagée. »
Aux yeux de la gauche, en revanche, le maintien de Chiappe à la préfecture devient insupportable. Plus elle s’époumone et plus la droite tient à défendre Chiappe. Le préfet de police est devenu un enjeu.
Le sort de celui-ci était-il réglé dès que le ministère a été formé ? Dans le journal de Daladier, à la date du 1 er février, on lit : « Le président du Conseil reçoit M. Frot, ministre de l’Intérieur ; il envisage avec lui de faire publier par les journaux la liste des chèques Stavisky. Ils s’entretiennent aussi des faits reprochés à MM. Chiappe, Thomé (12) et Pressard et des sanctions éventuelles à prendre contre eux. M. Frot est favorable à des sanctions. Le président du Conseil ne conclut pas : il veut faire le tour de tous les problèmes posés avant de prendre une décision définitive. »
Ainsi Daladier présente-t-il Frot comme un adversaire délibéré de Chiappe. Pourtant, Eugène Frot affirme le contraire. Quand il a accepté le ministère de l’Intérieur, Malvy lui a posé une question :
— Vous n’avez pas l’intention de mettre Chiappe à la porte ?
Frot a répondu :
— Pourquoi le ferais-je, puisque je le considère comme un excellent préfet (13) ?
Cela dit, la « guerre des
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