C'était le XXe siècle T.2
faut le dire, par une presse déchaînée – refuse de l’admettre. « Chautemps veut cacher la vérité », c’est le propos que l’on entend chaque jour.
On se relaie pour porter au régime des coups de plus en plus cruels. Henri de Kérillis, par exemple : « Si même, comme on le croit de plus en plus, Stavisky a été, par l’intermédiaire de Bonnaure, le bailleur de fonds électoraux du parti radical-socialiste, il est permis de dire que le parti tout entier est atteint et qu’il n’est plus qualifié pour diriger le destin du pays. »
Dès le 7 janvier – avant la mort de Stavisky –, l’Action française a appelé à manifester devant le Palais-Bourbon. Ce jour-là, Maurras a écrit : « La République est le règne de l’étranger : Alexandre Stavisky est un métèque juif…» Le 9 janvier, vers 19 heures, de petits groupes d’une dizaine de camelots du roi se rassemblent sur le boulevard Saint-Germain et dans les rues adjacentes et clament :
— Gouvernement d’escrocs ! À bas Chautemps !
Un barrage d’agents a été posté à la hauteur de la rue Saint-Dominique. Bagarres. Une arrestation. Les jeunes gens refluent vers le boulevard Raspail en chantant :
Ça ira, ça ira, ça ira !
Les députés à la lanterne !
Ça ira, ça ira, ça ira !
Les députés, on les aura !
Sur les trottoirs, les passants applaudissent comme au spectacle. Ce sont des gens bien mis, on dirait aujourd’hui « bon chic, bon genre ».
La manifestation va se continuer ailleurs. À 21 heures, d’autres groupes – ou les mêmes ? – se retrouvent au carrefour Richelieu-Drouot. On crie :
— À bas les assassins ! À bas les voleurs ! À la Chambre !
On arrache les grilles qui entourent la base des arbres, on les empile sur la chaussée. Les tramways doivent s’arrêter. On lance des pétards qui font croire à certains que l’on tire des coups de feu. Pendant ce temps, sur les boulevards Saint-Germain et Raspail, la police montée pourchasse les manifestants. Des projecteurs s’allument : les cameramen des actualités Pathé-Nathan doivent faire leur métier.
Cette nuit-là, on opère 132 arrestations.
Deux jours plus tard, nouvel appel à manifester. On distribue des tracts aux étudiants : rassemblement à 18 heures devant la Chambre ! L’appel de l’Action française ne s’embarrasse pas de nuances : « À bas les ministres et les députés vendus ! Tous ce soir devant la Chambre ! »
À 18 heures, la garde à cheval barre la rue de Courty. À 18 h 30, se produisent les premières échauffourées. Très rapidement, une barricade s’édifie boulevard Saint-Germain, une autre près de l’hôtel Lutétia. Et toujours les mêmes slogans :
— À bas les voleurs !
— À bas Chautemps !
— À bas les députés !
Entre 18 heures et minuit, les camelots du roi reprennent mille fois le même refrain :
Stavisky au Panthéon,
fontaine !
Camille Chautemps en prison,
Tonton !
À 19 h 30, on procède aux premières arrestations, parmi lesquelles celles de dirigeants de l’Action française . Bagarres rue Royale, rue de Rivoli, place de la Concorde. On remarque que la police ne se contente pas de veiller au grain mais qu’elle se montre singulièrement offensive. Une raison à cela : le préfet Jean Chiappe dirige en personne les opérations. Sur l’asphalte, on relèvera des blessés. Le journaliste Vertex est frappé à la tête.
Jusqu’à minuit, on manifeste. Puis tout s’apaise. La police a procédé à 238 arrestations. On dénombre 22 blessés du côté du service d’ordre.
Le 12 janvier, la pluie disperse de nouvelles manifestations. Maurice Pujo, chef des camelots du roi, s’avance vers Chiappe et lui propose de renvoyer ses troupes chez elles si les agents n’attaquent pas les premiers. Les deux hommes tombent d’accord.
Le même jour, on manifeste à la Comédie-Française. Il faut dire que l’administrateur général Emile Fabre a eu la fâcheuse idée – mais pouvait-il prévoir Stavisky et ses conséquences ? – de mettre à l’affiche une pièce assez peu connue de Shakespeare, Coriolan . Il s’agit de l’affrontement d’un général romain, Coriolan, avec un sénat discrédité. Un certain nombre de répliques sont devenues d’une redoutable actualité. Naturellement, elles font mouche. Selon ses options politiques, le public siffle – ou applaudit.
Le 19 janvier, Edouard
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