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C'était le XXe siècle T.2

C'était le XXe siècle T.2

Titel: C'était le XXe siècle T.2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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qu’il s’agissait « d’impressionner les manifestants ». Il requiert le clairon Jeanne, du peloton de Rouen. Par deux fois, celui-ci sonne le « garde-à-vous ».
    Marchand s’est posté sur le terre-plein du pont, du côté Champs-Élysées. Détail important : il est en civil. Il hurle :
    — Obéissance à la loi !
    Telle est la première des trois sommations prévues par la loi du 10 mars 1831. Au milieu du vacarme, des hurlements, des invectives, qui a pu l’entendre ? Tout juste constate-t-on un léger flottement dans les premiers rangs. Après quoi, les jets de projectiles reprennent de plus belle.
    Seconde sommation hurlée par Marchand :
    — Que les bons citoyens se retirent et rentrent chez eux !
    Réponse : une pluie de boulons ou de billes. Marchand est lui-même atteint. Il n’en adresse pas moins à ses adversaires la troisième et dernière sommation :
    — Il va être fait usage de la force !
    Mal en point, il se retire et rejoint le préfet.
    Le journaliste Fauverge témoigne : « Même si les sommations furent faites dans la forme régulière, personne ne les entendit, tant était grande la clameur qui s’échappait des milliers de poitrines groupées devant nous. Cette clameur s’entendait même loin dans la rue de Bourgogne : il n’y a pas de voix humaine capable de dominer un tel vacarme. Je suis également convaincu que les coups de clairon n’ont été entendus que par un nombre infime de manifestants car moi-même, qui me trouvais à environ vingt mètres devant le garde qui sonnait, je ne les ai perçus qu’à peine. De plus, je suis non moins convaincu que ceux des manifestants qui les ont entendus n’ont rien compris à leur signification. »
    C’est alors que claque, en provenance des bosquets du Cours-la-Reine, un coup de feu.
     
    Sur le trottoir du pont, à l’angle que celui-ci forme avec le Cours-la-Reine, René Bruyez et Armand Flassch se sont placés derrière le rang unique de gardes mobiles et devant celui de cavaliers. Selon Bruyez, on traversait une relative accalmie. « Un cheval saignait abondamment d’un œil que je crus crevé, deux autres fléchissaient sur leurs jarrets d’où ruisselait également du sang  (20) , des gardes mobiles, plus ou moins grièvement blessés, étaient par leurs camarades portés à l’écart ou introduits dans des voitures qui les emmenaient à la clinique. Mais il y avait virtuellement accalmie.
    « Tout à coup, le petit coup de feu dont j’ai parlé  (21) .
    « — Quelqu’un a tiré, me dit Flassch, en me serrant le poignet.
    « Notre ami qui percevait, lui aussi, la solennité décisive de cette seconde-là, était visiblement angoissé.
    « Nous regardons, lui et moi, dans la direction où nous avions entendu claquer le coup – c’est-à-dire au bout d’une ligne formant, avec le parapet du Cours-la-Reine, un angle approximatif de 45° et aboutissant, cette ligne, sur le terre-plein des Champs-Élysées, compris entre la pelouse où s’élève la petite statue qui a survécu aux Arts décoratifs, et les allées parallèles à l’avenue, situées sur sa gauche.
    « À cinquante mètres de nous, par conséquent.
    « Or il n’y avait pas un uniforme dans la masse, très discernable malgré la pénombre, des manifestants agglomérés à cet endroit.
    « Flassch et moi voulons en avoir le cœur net. Nous n’en finissons pas de scruter la pénombre où, vient de se produire la détonation.
    « — Quelle heure est-il ? demandai-je à Flassch.
    « — Sept heures et demie, pas tout à fait, me dit-il.
    « De fait je vis sa montre. Il était 19 h 29. »
    Donc, Bruyez et Flassch – ainsi qu’un troisième journaliste placé près d’eux, Maurice Aubenas – affirment que les coups de feu viennent du Cours-la-Reine et que c’est un civil qui a tiré le premier.
    Ce que confirme Fauverge :
    « Il était environ 19 h 30, lorsque, sur ma gauche, dans l’obscurité du cours la Reine, j’entendis une première détonation isolée. Ce claquement sec ressemblait fort à un coup de revolver ; mais, comme au cours des manifestations précédentes, les camelots du roi avaient employé des pétards en quantité industrielle, je pensai que ce devait être encore un pétard et, en raison de la nervosité, je n’en parlai à personne…
    « Si cependant, comme je le crois, c’est bien un coup de revolver qui fut tiré sur le Cours-la-Reine, il a éclaté chez les

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