C'était le XXe siècle T.2
à crier : “À la Chambre ! À la Chambre !”, et aussi un refrain qui a sans cesse été hurlé et que j’ai retenu. Toute ma vie il m’est resté dans les oreilles :
Ça ira, ça ira, ça ira !
Les députés à la lanterne !
Ça ira, ça ira, ça ira !
Les députés on les pendra !
« Et aussi : “Daladier au poteau.” Il y a eu un rush sur le pont de la Concorde. Mon frère et moi étions grimpés sur les fontaines du bassin de la Concorde, vides d’eau à ce moment-là, après non. Ce rush a été brisé par un mur de gardes mobiles et nous avons vu un assaut d’agents de police, la cape entortillée sur une main et l’autre brandissant le gourdin et tapant à tour de bras. Comme nous étions jeunes et agiles, nous nous sommes mis à courir, refoulés vers la rue de Rivoli, car la rue Royale grouillait de manifestants. Là, attendaient les gardes républicains à cheval, qui se sont mis à charger, comme des salauds. Des gens ont été piétinés. Mon frère et moi, qui étions plutôt des sportifs et connaissions bien le quartier, avons foncé – j’avais une jupe-culotte ! – vers les Tuileries. En escaladant, nous nous sommes retrouvés là à l’abri et avec une vue d’ensemble sur ce qui se passait sur la place. Nous n’en croyions pas nos yeux. Toutes les issues étaient bouclées. Rangées de gardes mobiles aux Champs-Élysées, le car brûlant à côté, pont de la Concorde bouclé, quai des Tuileries bouclé. »
Cette place, le journaliste René Bruyez la voit avec les mêmes yeux que Geneviève Duchateau. Il estime que l’erreur évidente du service d’ordre est de n’avoir pas, dès le début de l’après-midi, bouclé la place. Il se montre tout aussi critique pour le dispositif de défense du pont : « Celui-ci eût incontestablement dû être plein, plein de cavaliers assurés sur leurs montures, ce qui aurait découragé d’agir le groupe qui attendait de forcer le barrage. Or le pont était vide. Interdite théoriquement à la bagarre, par un chapelet de gardes mobiles – sur un seul rang – derrière lesquels s’alignait – sur un seul rang – un chapelet de cavaliers, la vaste chaussée du pont de la Concorde avait l’air d’inviter les manifestants à venir fouler son sol. »
Depuis une demi-heure, le service d’ordre reçoit sans broncher des projectiles qu’il ne ramasse pas. Cette impassibilité de commande cesse tout à coup. Les agents, exaspérés, commencent à se baisser, à ramasser tous les projectiles qu’ils ont reçus jusque-là sans répondre et se mettent à les lancer vers la foule. René Bruyez les voit qui « mitraillent la foule, à leur tour, avec un entrain qui ressemble assez à la démence ».
On en est maintenant à une véritable bataille. Un groupe muni de pioches se met à défoncer le pourtour du bassin sud de la place. Sur le service d’ordre, on lance du bitume, de la fonte – et toujours, à l’aide de frondes, les fameuses billes. Une nouvelle charge de la garde à cheval. Le peloton parvient avec peine jusqu’à l’Obélisque et doit rebrousser chemin. 15 cavaliers sur 25 sont touchés ! M. Jean Baron : « Les gardes mobiles nous distribuaient de grands coups de sabre mais avec le plat du sabre, ce qui néanmoins faisait assez mal. » M. J.-B. Pâquet : « J’ai été refoulé sur le quai par des agents de la police municipale, étourdi par une attaque (étourdi, car selon une habitude, j’avais sous mon chapeau un journal entier plié en huit, excellente protection). »
Le baron Duroy de Bruignac, sympathisant de l’Action française, est arrivé vers 19 heures sur la place : « Les manifestants, encore peu nombreux, mais dont le nombre croissait à chaque instant, étaient rassemblés près du Cours-la-Reine ; je me joignis à eux. Je suis convaincu qu’il n’y avait ni billes, ni boulons, ni rasoirs emmanchés, ce qui eût indiqué une préméditation. Or nous étions sans armes (19) . Nous entourions les gardes républicains à cheval qui faisaient le “manège”. Nous leur jetions des pierres et les arceaux de fonte arrachés aux bordures des pelouses, sans grande conviction d’ailleurs, craignant de blesser ces bons Français. Quelques jeunes audacieux essayaient en vain de désarçonner les cavaliers. »
19 heures. Marchand décide d’adresser à la foule les sommations prévues par la loi. A-t-il reçu des ordres ?
Marchand reconnaîtra lui-même
Weitere Kostenlose Bücher