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C'était le XXe siècle T.2

C'était le XXe siècle T.2

Titel: C'était le XXe siècle T.2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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spectacle. Elle a été frappée par un projectile de 8 mm, alors que le service d’ordre usait de balles de 7,5 mm. On ne saura jamais qui a tué Mlle Gourhan.
    La foule a reflué, épouvantée. Momentanément, la place est dégagée. Mais à quel prix !
     
    Revenons au témoignage de Geneviève Duchateau : « C’est vers sept heures et demie/huit heures, je crois, que nous avons entendu des coups de feu, mais nous n’avons pas déterminé d’où ils venaient. C’était la guerre pour nous. Nous habitions l’île Saint-Louis et ne savions plus comment rentrer chez nous. Il n’était pas question de passer au milieu des chevaux de la rue de Rivoli. Une charge soudaine et on se retrouvait sous les sabots des chevaux ! Le quai des Tuileries avait une armada de gardes mobiles prêts à foncer. Il restait le jardin des Tuileries, plein de cars de police. On nous a déviés de telle sorte que pour rentrer chez nous, nous avons dû passer par le boulevard Saint-Germain, entièrement tenu par les gardes mobiles. Les quais étaient interdits et tous les manifestants qui cherchaient à rejoindre la Concorde ne pouvaient se glisser nulle part. Des cars bouclaient les rues. Quand nous sommes arrivés dans l’île Saint-Louis, nous avons raconté à notre père ce qui arrivait. Nous étions dans un état d’excitation terrible. Quant à moi, j’étais glacée d’épouvante. Jamais je n’avais vu une foule en colère. Des hommes bien vêtus, pour la plupart en manteau, chapeau, gants, écharpe, qui hurlaient, couraient, jetaient des projectiles sur des agents, matraques levées, à qui on criait : “Chargez ! ” et qui, tout d’un coup, fonçaient comme des assassins ! »
    M. Christian Lanco n’appartenait à aucune ligue, à aucun mouvement politique. Sortant d’une école supérieure de commerce, il cherchait du travail, tout simplement. Son état d’esprit ? « Curieux de tout et un peu désespéré. » Une affiche émanant du syndicat des commerçants et artisans, et conviant ses adhérents à se rendre place de la Concorde, l’a alerté. « Pour voir », il s’est placé sur la terrasse du jardin des Tuileries, à gauche des escaliers qui descendent vers la place. Et il a vu « çà et là sur la place, des cavaliers charger les manifestants qui jetaient des billes sous les pattes des montures, d’autres rampaient pour leur couper les jarrets avec des couteaux  (23) . Devant les charges de la cavalerie, tous se précipitaient dans les escaliers des Tuileries et refermaient les grilles devant les museaux des chevaux. J’ai vu le hall de l’hôtel Crillon encombré de blessés, certains étendus sur des draps tachés de sang, soignés par des hommes et des femmes en civil et quelques infirmières en blouse blanche. Des groupes soutenant des blessés remontaient la rue Royale. Chez Maxim’s, des corps allongés sur les tables et les banquettes ».
    Un autre témoin, M. F. Coutelier, exprime un avis d’un grand intérêt. Lui qui s’est trouvé sur la place de la Concorde de 20 heures à 23 heures environ, se dit convaincu « que l’immense majorité des présents, place de la Concorde, et aux environs, n’appartenait à aucun mouvement organisé ».
    Ce qui demeure, c’est que les manifestants ont essuyé des coups de feu. Ils ont été tirés par des défenseurs de l’ordre qui ont usé exclusivement de revolvers. Plus tard, on parlera de mitrailleuses, de fusils-mitrailleurs, contre vérité flagrante. René Bruyez : « Il est étrange qu’on ait pu croire, ne fut-ce qu’un instant, à leur présence et à leur activité ce soir-là. J’y étais. »
     
    À la Chambre, on discute toujours. Tout à coup, le député de droite Scapini – aveugle de guerre – se dresse et pointe l’index en direction de Daladier. Attitude si tragique qu’elle ramène un silence relatif. Et cette question qui glace :
    — Monsieur le président du Conseil, avez-vous donné l’ordre de tirer ?
    Geste de dénégation d’un Daladier affolé.
    Scapini enflant la voix :
    — C’est cela, votre gouvernement d’autorité !
    Une immense clameur s’élève à droite. Pour faire face à leurs ennemis naturels, les communistes scandent leur slogan favori :
    — Les Soviets ! Les Soviets ! Les Soviets !
    Le président Bouisson suspend la séance. Les députés se précipitent dans les couloirs, apprennent en quelques instants le drame qui s’est joué à quelques mètres

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