C'était le XXe siècle T.2
d’eux : la panique, les coups de feu, les morts, les blessés. Ils sont horrifiés.
Quand ils reviendront dans l’hémicycle, ce sera pour entendre, dès la reprise de séance, d’implacables invectives contre Daladier. Pour la troisième fois, le gouvernement pose la question de confiance. Qu’elle lui soit accordée par 360 voix contre 220 s’explique par un réflexe de solidarité renforcé par la peur. Devant le danger, on se serre les coudes.
Il est 20 h 30. Les députés se bousculent pour quitter le Palais-Bourbon. Par-derrière.
Édouard Herriot, tout échauffé par cette mémorable séance, décide de revenir à pied. Il oublie que sa silhouette, popularisée par les caricaturistes, est célèbre. Des manifestants le reconnaissent, se saisissent de lui et lui annoncent qu’ils vont le jeter immédiatement dans la Seine. Le député-maire de Lyon fait bonne contenance. Quelqu’un intervient : au fond Herriot n’est pas un mauvais bougre, il suffira de le déculotter ! On ne perd pas de temps, on pousse le malheureux dans un bosquet et on se met en devoir de lui ôter son pantalon. À point nommé survient une escouade de gardiens de la paix qui le dégage. Comme on l’entraîne, l’illustre parlementaire achève de se reboutonner et prononce ces mots bien dignes de lui :
— Le maire de Lyon se devait de n’être noyé que dans le Rhône !
C’est alors, à 20 h 30, que débouche des Champs-Élysées un cortège immense : celui des anciens combattants. D’abord une imposante banderole : Nous voulons que la France vive dans l’ordre et la propreté . Derrière, quarante drapeaux déployés. Derrière encore, des hommes qui arborent toutes leurs décorations.
Le général Lavigne-Delville, président des Décorés au péril de leur vie, exige de Marchand le passage. Marchand tente de le raisonner. On négocie. On s’arrête à une solution : la manifestation traversera la place de la Concorde mais elle gagnera ensuite les grands boulevards. Ainsi évite-t-on le pire : que les anciens combattants se mêlent aux autres manifestants pour attaquer de nouveau le pont de la Concorde.
Le président Lebecq clame :
— À mon commandement, direction : rue Royale !
L’énorme cortège reprend sa marche au chant de La Marseillaise . Mais aussi au chant de L’Internationale : les combattants de l’ARAC sont là, eux aussi.
21 h 45. De nouveau, le tumulte. De nouveau, on se rue vers le barrage. De nouveau, on lance des projectiles de tout genre dans la direction du service d’ordre. De nouveau, Marchand fait avancer les cavaliers. Un arceau de fonte bien lancé : le garde républicain Flandre le reçoit en plein front. Il mourra le 9 février d’une fracture du crâne.
Il a beaucoup souffert, le service d’ordre. Quatre cents blessés ont dû être évacués. Une fois encore, il faut faire face aux harcèlements de la foule.
Un nouveau drame – encore. Il semble, sans que cela ait été prouvé, que trois coups de feu aient été tirés des bosquets du Cours-la-Reine. Ce qui est certain, c’est que des gardes mobiles et des gardiens de la paix ont répondu : deux morts.
À Beaujon, on accueille quarante-cinq blessés graves. On ne cesse d’en admettre d’autres. Leurs explications sont identiques :
— Ils étaient sur le pont, couchés derrière les voitures, et ils nous ont tiré dessus !
— Ils couraient après nous sur les Champs-Élysées et nous tiraient comme des lapins !
Les chefs ont été dépassés par les troupes. Celles-ci sont à bout, enfiévrées de fureur. Pour reprendre les hommes en main, le colonel Simon décide, à 23 h 40, de charger. Il se place lui-même en tête de la deuxième colonne. Direction : l’allée sud des Champs-Élysées. Le commissaire Challier et ses hommes foncent sur le Cours-la-Reine. Ils tirent.
La poursuite dans les bosquets a été racontée – avec talent – par Daniel Guérin au cours de mon émission. Selon lui, elle pouvait se comparer à une chasse à l’homme. On entendait tel ou tel défenseur de l’ordre hurler :
— Celui-là, je le veux !
Les manifestants fuient. Bientôt, il n’y aura plus personne sur le Cours-la-Reine. Plus personne non plus, à minuit, sur la place de la Concorde. La police pourchasse les derniers manifestants sur les Champs-Élysées et dans la rue Royale. Après quoi, les gardes et les gardiens indemnes vont regagner leur caserne et leur
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