C'était le XXe siècle T.2
Suresnes et empoche 300 000 francs de bénéfices, somme qui lui permet de désintéresser les victimes de ses précédentes escroqueries et d’obtenir la mainlevée des poursuites.
Il s’affine, oublie ses habitudes de vulgarité, s’habille maintenant chez les bons faiseurs. Il plaît de plus en plus. Une certaine Jeanne Darcy – de son vrai nom Fanny Bloch – a parcouru avant guerre une assez jolie carrière de chanteuse. Elle se déclare folle de lui. Leur aventure illustre parfaitement ce curieux temps où l’on meurt en masse à l’avant, cependant que ceux de l’arrière se partagent entre la recherche du plaisir et la course à l’argent. Sacha et Fanny unissent leurs destinées, ouvrent ensemble des salles de jeux clandestines dont le croupier n’est autre que Stavisky et gagnent assez d’argent pour inaugurer un cabaret-dancing, rue Caumartin.
Les permissionnaires affluent, la caisse se remplit. L’ennui est que Sacha puise dans cette caisse et qu’il trompe Fanny. D’où des scènes particulièrement pénibles. Les barmen évoqueront les algarades des deux amants, les cris suraigus de Fanny, les injures de Sacha, parfois ponctuées de coups. Fanny ira même se plaindre à la police des sévices que lui a infligés Stavisky. On se sépare, on liquide. Sacha est à la tête de 800 000 francs (2) .
Au lendemain de la guerre, 800 000 francs signifient une très grosse somme. Un tel capital pourrait représenter une excellente base pour la création d’affaires honnêtes que Stavisky est parfaitement capable de mener à la réussite. Il n’y pense même pas. Seule semble l’attirer la fatalité des entreprises en marge, des affaires louches, comme la flamme capte le papillon de nuit.
Il s’associe avec un certain Himmel pour fonder une compagnie de cinéma : la Franco-American Cinematograph Corporation, société par actions pour laquelle huit millions sont souscrits. Le pot aux roses ne tarde pas à se révéler : les associés américains annoncés aux actionnaires n’existent pas. Une instruction est ouverte.
On voit Stavisky à Istanbul, à Budapest, à Athènes. Il touche au monde de la drogue, abandonne pour se lancer dans une affaire de vente de consommé de viande en cube, le P’tit Pot . Faillite frauduleuse. « De 1922 à 1924, dit M e Maurice Garçon, Stavisky fonda une série de sociétés qui disparurent aussi vite qu’elles étaient nées. » Toute sa vie et jusqu’au bout, il dépensera plus d’argent qu’il n’en gagne. D’où la nécessité de s’en procurer toujours davantage.
En 1923, il franchit encore une étape : un gros paquet de titres a été volé à bord d’un paquebot entre Marseille et l’Amérique du Sud. On possède la preuve que la plus grande partie de ces titres, vendus pour un million de francs à Paris, est passée entre les mains de Stavisky. Or, il n’est pas inquiété.
Étrange longanimité de la justice. Douze ans plus tard, la commission d’enquête parlementaire se demandera si Sacha ne jouissait pas déjà à ce moment-là de la protection d’un commissaire de police. En l’occurrence, l’impunité engendre la témérité. Une nuit, à Montmartre, un Américain éméché signe un chèque de 600 francs. Stavisky le « lave » et en transforme le montant en 48 200 francs. Un complice, Popovici, présente le chèque à l’American Express qui paye. Sur le conseil de Stavisky, Popovici file à l’étranger.
Avec cet argent frais, Sacha se lance dans de nouvelles affaires : tissus, gabardines, soieries. Popovici regagne Paris pour réclamer sa part. Il est arrêté sur-le-champ. Or, une seule personne était informée de son retour : Stavisky. Persuadé qu’il a été « donné », Popovici le dénonce.
En prison, Stavisky.
Quand le juge d’instruction ouvre le dossier, il cherche en vain le chèque falsifié, seule pièce à conviction. Disparu ! Stavisky a fait le nécessaire. Libéré, c’est une nouvelle morale personnelle qu’il se forge : on peut tout obtenir par la corruption.
Ces quelques jours de captivité lui ont-ils au moins servi de leçon ? Pas même. Il fait monter sans cesse ses propres enchères. Avec un « spécialiste » embauché en Roumanie, il se propose d’imprimer de faux bons du Trésor. Une femme dénonce toute l’affaire. La police découvre le matériel dans un pavillon de Brunoy. On arrête les complices, pas Stavisky. Il se terre le temps nécessaire, puis
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