C'était le XXe siècle T.2
de mal à marcher que deux gardes doivent le soutenir. D’évidence, l’interrogatoire s’est poursuivi énergiquement durant toute la nuit…
Staline explose :
— Pourquoi as-tu tué un homme aussi irréprochable ?
— Ce n’est pas sur lui que j’ai tiré, mais sur le Parti !
Plus question de « mari bafoué ». Les interrogateurs ont rectifié le tir. L’« aveu » a été proféré dans un cri digne de la plus pure tradition du théâtre russe. Probablement les « metteurs en scène » n’ont-ils pas jugé le ton suffisant car, aussitôt après, Nikolaïev tombe à genoux. Il désigne le groupe d’anciens tchékistes. Il hurle :
— Ils m’ont forcé à le faire !
C’est plus que n’en peuvent supporter ceux qu’il accuse. Plusieurs se jettent sur lui et, à qui mieux mieux, le frappent à coups de crosse de pistolet. Le sang inonde son visage. Il gémit et bientôt s’évanouit. Sur un geste de Staline, on l’emporte. C’est dans un demi-coma qu’il parviendra à l’hôpital de la prison où l’ordre est donné de le ranimer : il faut qu’il soit présentable pour que Staline puisse l’interroger le lendemain. On le plonge alternativement dans de l’eau brûlante et dans de l’eau glacée.
Staline cherche-t-il vraiment à établir les conditions dans lesquelles le crime a été commis et à découvrir si Nikolaïev a disposé ou non de complices ? Nullement. La liste des coupables était dressée avant même qu’il ait quitté Moscou.
C’est seulement par tactique que Staline s’est vu forcé, dès avant le XVII e congrès, de pardonner à certains opposants. Il ne se remet pas encore d’avoir été contraint de rendre la parole à des hommes comme Kamenev et Zinoviev. Être obligé de les écouter parler au XVII e congrès l’a mis hors de lui. Il se sent maintenant assez fort pour prendre une revanche définitive. Les coupables du meurtre de Kirov ? On désignera à la vindicte publique ceux qui doivent définitivement disparaître de la scène politique. On commencera par Trotski : il est en exil et hors d’atteinte mais dénoncer ses crimes est devenu un rite. On continuera par Zinoviev et Kamenev – et beaucoup, beaucoup d’autres. L’avantage de la liste de Staline est qu’elle n’est pas limitative. On pourra, aussi longtemps qu’on le voudra, trouver de nouveaux « complices » de l’assassinat de Kirov et les condamner chacun à leur tour. Peut-on croire au hasard si le terrible décret qui va désormais régir la terreur en URSS est daté du 2 décembre 1934 ? En voici le texte :
« 1. Ordre est donné aux organismes d’instruction d’accélérer l’étude des procès de ceux qui sont accusés de préparation ou d’exécution d’actes terroristes.
« 2. Ordre est donné aux organes juridiques de ne pas suspendre l’exécution des sentences de mort relatives aux crimes de cette catégorie afin d’étudier les possibilités de grâce, du fait que le Présidium du Comité exécutif central de l’URSS ne considère pas possible de recevoir les pétitions de cette nature.
« 3. Ordre est donné aux organismes du commissariat des Affaires intérieures (NKVD) d’exécuter les sentences de mort contre les criminels de la catégorie ci-dessus immédiatement après le prononcé de cette sentence. »
Il faut en outre que « la totalité du travail d’enquête soit achevée dans un délai de dix jours » et que « l’acte d’accusation ne soit révélé à l’accusé qu’un jour seulement avant le procès ». Le procès se déroulera « sans débat contradictoire », comprenons : sans avocat. Enfin tout « accusé politique » sera considéré comme un « terroriste en puissance ».
Rien ne vient plus limiter les moyens de répression que Staline a voulu se donner.
Dans la grande salle de l’Institut Smolny, Staline siège toujours en compagnie de Vorochilov, Molotov et les autres. Un étage entier a dû être réquisitionné pour abriter tous ceux qui, fébrilement, sont censés réunir les éléments de l’enquête. On accumule les informations sur Nikolaïev propres à convaincre l’opinion qu’il s’agit d’un déséquilibré en proie à l’obsession de jouer un rôle politique. Ceux qui feignent d’en découvrir les preuves le savent depuis longtemps puisque c’est à cause de cette prédisposition qu’il a été utilisé. L’historien soviétique Roy Medvedev, qui a écrit après la chute
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