C'était le XXe siècle T.2
hasard : les noms des quartiers, ceux des monuments, le nombre des habitants, le type des avions, la référence au passé historique de la ville, la description de la ronde infernale des bombardiers et des chasseurs. On entrevoit le reporter courant la ville en flammes, interrogeant les témoins, les harcelant de questions, recomposant peu à peu, en toute certitude, l’accablante chronologie et l’effrayante réalité du bombardement.
Le matin même du 27 avril, le président basque Aguirre, horrifié, va publier la déclaration que voici : « Les aviateurs allemands au service des rebelles espagnols ont bombardé Guernica, brûlant la ville historique vénérée par tous les Basques. Ils ont essayé de nous blesser au plus sensible de nos sentiments patriotiques, rendant une fois de plus évident qu’Euzkadi ne peut rien espérer de ceux qui n’hésitent pas à détruire le pays jusqu’à la porte du sanctuaire de nos siècles de liberté et de démocratie. Devant cet outrage, tous les Basques doivent réagir avec violence, en jurant du fond du cœur de défendre les principes de notre peuple avec un acharnement inouï et avec héroïsme, s’il le faut. Nous ne pouvons cacher la gravité de l’heure, mais l’envahisseur ne pourra jamais remporter la victoire si, en élevant nos âmes avec force et détermination, nous jurons de le battre. Auparavant, l’ennemi avançait sur plusieurs points pour être repoussé plus tard. Nous n’hésitons pas à affirmer que la même chose se produira ici. Que l’outrage d’aujourd’hui soit un aiguillon de plus pour nous pousser rapidement vers la victoire. »
Steer a fait son métier, les autres correspondants ont fait le leur. Leurs télégrammes courent sur les fils. Le 28 avril, la presse britannique tout entière, celle du Canada et celle d’Argentine, relatent l’événement. Curieusement, la presse française prend un retard considérable. Si Ce soir – journal de gauche récemment fondé pour concurrencer le conservateur Paris-Soir – a publié une dépêche de son correspondant Mathieu Corman annonçant que huit cents personnes avaient été tuées dans le bombardement de la ville basque de « Quirnica », le reste de la presse française, à l’exception de Paris-Soir qui lui consacre quelques lignes le 27 au soir, n’annoncera la nouvelle que le 29, voire le 30 avril.
Aucun organe de presse n’a mis en doute, au cours des premières heures, la réalité du bombardement de Guernica. Ce qui diffère, c’est la façon de présenter la nouvelle. L’Écho de Paris , partisan avoué de Franco : « De nombreux objectifs militaires ont été bombardés par les pilotes nationalistes, notamment le village de Guernica, berceau du séparatisme basque. À Guernica, les rouges avaient établi d’importants dépôts de matériel de guerre qui ont été détruits. » L’Action française : « Toute la presse rouge, rose, franc-maçonne ou puritaine des deux hémisphères pousse, depuis hier, des cris d’horreur…» Pour le rédacteur maurrassien, si la ville a été bombardée, c’est parce que « la guerre est la guerre ».
Paris-Midi , tout en ne paraissant pas douter de la matérialité des faits, sera le premier – le 29 avril – à poser une question sous forme d’un gros titre : « QUI EST RESPONSABLE DES BOMBARDEMENTS SANGLANTS DE GUERNICA ? »
La source de ce doute se trouve à Salamanque, siège du gouvernement du général Franco.
Les auditeurs de l’émetteur nationaliste Radio Requeté ont été les premiers à entendre la thèse franquiste concernant Guernica. Il n’aura pas fallu longtemps pour l’établir puisque l’émission a été diffusée le 27 avril, dès 21 heures. Pour le speaker franquiste, pas la moindre ambiguïté :
« Sont complètement fausses les nouvelles transmises par le ridicule président de la République d’Euzkadi, relatives à l’incendie provoqué par les bombes de nos avions à Guernica. Nos aviateurs n’ont reçu aucun ordre pour bombarder cette population. Les incendiaires sont ceux qui, l’été dernier, ont incendié Irún et hier Eibar. Dans l’impossibilité de contenir l’avance de nos troupes, les rouges ont tout détruit et ils accusent les nationalistes de faits qui ne sont que la mise en application de leurs intentions criminelles. »
La même nuit, à Salamanque, Radio Nacional revient avec colère sur le sujet : « Mensonges ! Mensonges !
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