C'était le XXe siècle T.2
Mensonges ! » Le communiqué se poursuit par une diatribe : « Aguirre ment ! Il ment bassement. Tout d’abord, il n’y a pas d’aviation allemande ou étrangère en Espagne nationaliste. Il y a l’aviation espagnole. L’aviation espagnole héroïque et noble qui ne cesse de combattre contre les avions rouges, qui sont russes et français, pilotés par des étrangers. En second lieu, nous n’avons pas brûlé Guernica. L’Espagne de Franco n’incendie pas. La torche incendiaire est le monopole des incendiaires d’Irún, de ceux qui ont brûlé Eibar, de ceux qui ont essayé de brûler vifs les défenseurs de l’Alcazar de Tolède. »
Déjà, la thèse officielle est en place. Bien en place. Celui qui l’a conçue, lui a donné sa forme, l’a diffusée, c’est Luis Bolin, chef de cette censure militaire franquiste qui contrôlait « tout ce qui était transmis d’Espagne au monde extérieur par les représentants de la presse étrangère (51) ». Les jours suivants, les communiqués continueront à pleuvoir. Ils ne seront que glose autour de deux idées-forces : 1) L’aviation nationale n’a pas bombardé Guernica parce qu’elle n’a pas pu voler durant ces derniers jours à cause du brouillard et de la bruine qui s’étendaient partout ; 2) ce sont les rouges eux-mêmes qui, voyant paraître leurs ennemis et se sentant irrémédiablement battus, ont incendié leur ville.
Le 29 avril, vers midi, les nationalistes entrent dans Guernica. La presse officielle franquiste écrit le lendemain : « Guernica a été détruite par les rouges au service des séparatistes basques. Cela est déjà prouvé – et la preuve sera mieux établie par des déclarations de ceux qui furent témoins, dans Guernica même, de l’incendie de la ville, consciencieusement projeté le 27 avril, par ceux qui se préparaient à s’enfuir. »
Ainsi, selon les nationalistes, les « rouges » projetaient, le 27 , d’incendier la ville avant l’entrée des franquistes. Ils l’auraient donc incendiée le 28. Que deviennent alors les témoignages des journalistes qui sont entrés dans Guernica le 26 avant minuit, alors que la ville n’était déjà qu’un immense brasier ?
La propagande nationaliste va non seulement s’accrocher obstinément à cette thèse, mais tout entreprendre pour l’imposer au monde. Un communiqué précise : « Aujourd’hui, les correspondants étrangers qui vivent et travaillent dans notre zone ont été invités à entrer dans Guernica avec les troupes d’occupation, pour s’entretenir librement avec les habitants et s’informer de la vérité face aux mensonges stupides et répugnants d’Aguirre. »
Les grandes manœuvres de séduction commencent.
Le 29 avril à midi, les premiers journalistes étrangers, un Français et trois Italiens, pénètrent dans Guernica. Un peu plus tard dans la journée, un Anglais et un Allemand les suivent. À 16 heures, cinq Français les rejoignent. Le 1 er mai, deux Américains et un Français. Le 3 mai, un Anglais et un Américain.
Il faut que le lecteur prenne conscience des conditions très particulières dans lesquelles travaillent ces journalistes. Ils sont constamment sous le contrôle d’officiers de presse nationalistes. Ils n’ont le droit de voir que ce qu’on leur montre. Tout ce qu’ils écrivent et transmettent est soumis au contrôle d’une censure qui coupe impitoyablement les paragraphes qui ne lui conviennent pas. Si un correspondant étranger s’entête à soutenir des thèses hors de saison, il est rapidement renvoyé dans son pays d’origine. Rien de plus dangereux que de se singulariser. Le reporter photographe français Georges Berniard, de la Petite Gironde , entré l’un des premiers, le 29 avril à midi, dans Guernica aux mains des nationalistes, va en faire la triste expérience. Pour s’être montré trop curieux – c’est son métier qui le veut –, il est arrêté comme espion. Pendant plusieurs heures, sa vie ne tient qu’à un fil. Il n’est libéré que sur les pressantes démarches de ses confrères de la presse étrangère. On l’expulse sur-le-champ d’Espagne.
Ce qui importe essentiellement aux propagandistes nationalistes, c’est de persuader les correspondants étrangers de l’exactitude de leur thèse. Apparemment, ils réussissent. Dans l’ensemble, les correspondants étrangers vont admettre la thèse de l’incendie volontaire de Guernica par les « rouges ».
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