C'était le XXe siècle T.2
Une dépêche résume toutes les autres, celle qu’a transmise, le 1 er mai à 19 heures, l’envoyé spécial de l’agence Havas, le Français Georges Botto. Il s’agit d’un télégramme qui sera distribué le 2 à Paris : « Vitoria, 2 mai. Les officiers de l’état-major du général Mola ont conduit, hier, les journalistes étrangers à Guernica pour leur faire visiter en détail les décombres de la ville et pour leur faire constater de visu que, contrairement aux nouvelles diffusées de source gouvernementale, la destruction de la ville n’était pas l’œuvre des nationalistes.
« Les journalistes étrangers ont parcouru la ville en tous sens et ils ont pu se renseigner, en toute liberté, auprès de quelques civils qui ont attendu l’arrivée des troupes du général Franco. Ils ont pu constater que tous les pans de mur restés debout ne portent aucune trace d’éclats de bombes et que, en revanche, toutes les fenêtres sont ceinturées de traces de flammes. Les poutres des maisons achèvent de se consumer trois jours après l’occupation.
« Les officiers nationalistes ont attiré l’attention des journalistes sur le fait que nulle part on ne trouve d’éclats de bombes et que l’absence de traces de projectiles ainsi que les constatations faites d’autre part démontrent que l’incendie volontaire de la ville était évident. Hier encore, on pouvait suivre les ravages causés par le feu qui a dû prendre naissance dans le sud de la ville et qui, poussé par la brise, s’est propagé vers le nord.
« L’attention des journalistes a également été attirée sur le fait que les endroits où le feu n’a pas trouvé de prise, spécialement les maisons construites en béton armé, ont été inondés d’essence, et ils ont pu voir à l’intérieur des traces de flammes qui ont dû être provoquées par du pétrole, car la fumée a déposé sur les murs une suie très épaisse.
« Malgré des recherches méticuleuses, les journalistes n’ont trouvé aucun trou de bombe. Ils en ont relevé quelques-uns seulement aux environs de la ville, particulièrement près des routes desservant la ville.
« Les civils restant dans la ville après le départ des gouvernementaux ont déclaré nettement que les “rouges” ont commencé leur œuvre néfaste lundi soir.
« En outre, on a montré aux journalistes, en pleine ville, quatre entonnoirs produits par des mines. Ces entonnoirs n’ont pu encore être comblés et gênent considérablement le trafic. »
En 1937, l’agence Havas est considérée comme l’une des plus importantes du monde. Si ses capitaux sont privés, on sait qu’elle reflète officieusement le point de vue du gouvernement français. Tout organe de presse qui se respecte est abonné à Havas. Sur le marché international, affrontant les agences américaines ou britanniques, Havas marque souvent des points dans la compétition pour la priorité des nouvelles.
Néanmoins, dans l’affaire de Guernica, Havas s’est laissée totalement « doubler » par ses concurrents anglo-saxons. Ce n’est que tardivement qu’elle a publié, sur le bombardement, quelques lignes de seconde main. Il semble, cette fois, qu’elle ait pris sa revanche : elle est l’une des premières à diffuser, sous la plume de son envoyé spécial Botto, des informations qui confirment, sans réticence apparente, la version franquiste de l’anéantissement de Guernica.
Certes, si on lit attentivement le texte, on constate l’insistance avec laquelle le journaliste a souligné que la visite s’était déroulée sous la conduite d’officiers de l’état-major nationaliste. À trois reprises, on trouve mention du fait que ce sont les officiers nationalistes qui ont « attiré l’attention » des journalistes sur tel ou tel point. Dans la rédaction définitive qui en sera donnée à Paris, la dépêche va-t-elle souligner que Botto n’a pas écrit librement et que son texte a été nécessairement censuré ? Havas ne semble pas y avoir pensé. C’est sans aucun commentaire que la dépêche est diffusée. Et qu’elle va, à travers le monde, semer le trouble.
Car elle va être abondamment reprise. D’abord par ceux que gênait fort ce bombardement, le Figaro , par exemple, qui titre sur trois colonnes : UNE ENQUÊTE À GUERNICA DES JOURNALISTES ÉTRANGERS RÉVÈLE QUE LA VILLE N ’ A PAS ÉTÉ BOMBARDÉE . Le quotidien précise dans un sous-titre : « Les maisons avaient
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