C'était le XXe siècle T.2
forcèrent à chercher refuge sous les arbres, sous les entrées des maisons et à nous jeter par terre dans les champs quand nous voyions s’approcher un avion. Il n’y avait pas de défense antiaérienne, pas de défense d’aucune sorte, nous nous trouvions encerclés et enfermés par des forces diaboliques qui poursuivaient les habitants sans défense. Le long des rues erraient les animaux amenés au marché, des ânes, des porcs, des poulets. Dans ce bouleversement général, nous vîmes des gens qui fuyaient en hurlant, en priant ou en gesticulant contre les agresseurs. Nous quittâmes finalement la ville en flammes, mais quand nous vîmes s’approcher des avions qui allaient passer au-dessus de nous, nous courûmes nous cacher sous quelques arbres. Près de là, il y avait un ruisseau traversé par un petit pont de pierre, sous lequel nous nous abritâmes, tandis qu’à quelques mètres trois bombes explosaient, faisant s’élever un nuage de poussière aveuglante. Quelqu’un quitta la grand-route et grimpa dans le bois. Quand le calme revint, nous trouvâmes une femme morte, mitraillée, et un jeune gudari victime de l’explosion d’une bombe. Il ne portait pas de blessure visible, mais des flots de sang s’échappaient de sa bouche et de son nez. Je leur ai donné à chacun l’absolution. On nous a dit que le nom du gudari était Gotzon. Tous les caniveaux et les fossés étaient pleins de gens qui cherchaient à se cacher ou à trouver une protection contre les lâches attaques de la force aérienne ennemie. La Providence nous sauva ce jour-là. Des branches d’arbre et des mottes de terre tombaient sur nos têtes chaque fois que des bombes explosaient autour de nous. À 7 h 45 de cette radieuse soirée d’avril, la destruction systématique de notre ville sainte toucha à sa fin. C’étaient des avions allemands envoyés sur Guernica pour faire une expérience de guerre totalitaire. C’était le premier exemple de cette sorte de guerre : d’abord quelques bombes pour effrayer la population, puis des vagues de bombardiers avec des explosifs, suivis immédiatement par des bombes incendiaires et, finalement, des avions légers mitraillant les pauvre gens qui cherchaient à s’enfuir pour sauver leur vie…
« Guernica brûlait. Nous ne vîmes pas beaucoup de flammes pendant les deux premières heures parce qu’il faisait jour et que la fumée cachait les feux. Mais quand nous voulûmes rentrer dans la ville, nous ne pûmes faire un seul pas tellement nous étions suffoqués par la fumée et les flammes qui commençaient à consumer toutes les demeures. Beaucoup de gens s’étaient rassemblés hors de l’agglomération. Certains pleuraient, d’autres priaient et tous regardaient le spectacle, pétrifiés d’horreur et de peur. Je partis en marchant vers Munitibar (53) . »
Le père Onaindia a pu retrouver sa mère, assise sur le bord d’une route. Il l’a ramenée à Bilbao. Au matin, il a couru narrer ce qu’il avait vu au président Aguirre. Nul doute que ce récit ait été à la base du communiqué, brûlant et désespéré, qu’a publié Aguirre au cours de la matinée.
La réaction d’Aguirre au récit de l’ecclésiastique va comporter une autre conséquence : le père Onaindia accepte-t-il de se rendre à Paris pour raconter ce qu’il a vu ? Puis à Rome pour témoigner auprès du pape ? Voilà ce que demande Aguirre. Le père part sur-le-champ. À peine arrivé à Biarritz, il raconte le calvaire qu’il a traversé en compagnie des infortunés habitants de Guernica. Plusieurs agences de presse anglo-saxonnes diffusent son interview.
Une nouvelle fois, Havas demeure absente de la compétition. Les journaux qui ne sont abonnés qu’à elle ignoreront tout du témoignage essentiel du père Onaindia.
De Biarritz, le père prend le train pour Paris. Sur le quai, une nuée de journalistes l’attendent : « Je fus encerclé par des journalistes qui me demandaient si j’avais vraiment été à Guernica, car les militaires démentaient ce fait. » Furieux, il écrit sur-le-champ à Mgr Múgica, évêque exilé de Vitoria qui réside à Rome : « Cette calomnie m’apparut presque pire que l’incendie de la ville : tuer de pauvres et d’innocentes personnes et leur attribuer ensuite le crime le plus horrible de cette guerre ! »
Sans le savoir, le père Onaindia vient de définir très exactement la portée de l’affaire de Guernica. Les hommes de
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