C'était le XXe siècle T.2
Franco ont crié si fort leur négation de la vérité, ils l’ont répétée si souvent que l’évidence a fini par être mise en doute. Grande leçon qui, naturellement, sera entendue. Hitler et Goebbels joueront avec un art consommé de la dénégation. Staline ne sera pas en reste : quelle réussite d’avoir fait croire que le massacre de Katyn, crime soviétique par excellence, était un crime nazi !
Le père Onaindia ne sera pas convié à Rome et ne pourra donc jamais raconter au pape ce qu’il avait vu, mais un groupe de vingt-deux prêtres basques fera en secret le voyage de Rome. Ils y rencontreront Mgr Múgica. Celui-ci tentera vainement d’organiser une entrevue avec Pie XI. Tout juste pourra-t-il obtenir un entretien avec le cardinal Pacelli. Celui-ci les recevra « avec une courtoisie réservée ». Dès qu’ils voudront aborder le sujet brûlant, « l’interview fut interrompue ».
Près d’un demi-siècle s’est écoulé et la négation des hommes de Franco produit toujours son effet. Cependant que je préparais mon émission sur Guernica, j’ai entendu plusieurs fois dire autour de moi :
— Guernica ? Au fait, il paraît qu’il n’y a jamais eu de bombardement.
Cinquante ans après !
Une fois de plus, l’Histoire va se révéler un tribunal d’appel. Franco tenait encore solidement le pouvoir lorsque des documents décisifs sont sortis des archives où l’on avait voulu si longtemps les ensevelir.
Il me faut rendre hommage ici à un admirable chercheur. Il n’est pas européen, ce qui le rend moins perméable aux débats nés souvent de nos passions. Professeur à l’université de San Diego en Californie, Herbert R. Southworth a été conduit à se pencher sur l’anéantissement de Guernica alors qu’il avait entrepris une étude plus générale sur la guerre civile espagnole. Très vite, il s’est demandé comment, sur une affaire aussi récente à propos de laquelle on pouvait penser que nous devions être parfaitement informés, deux thèses radicalement opposées avaient pu si longtemps coexister – et même coexistaient encore.
Herbert R. Southworth est de ceux qui se veulent assurés qu’un problème d’histoire peut toujours être résolu par une enquête exhaustive. La sienne a duré des années. Il a pu interroger ou faire interroger les survivants, consulter ou faire consulter les archives espagnoles, britanniques, françaises, allemandes. Rien n’a échappé à sa curiosité, aussi noble qu’avide.
Quand il entreprend son enquête, Havas, en tant que diffuseur de nouvelles, n’existe plus. Longtemps, on affirme à Southworth que ses archives ont définitivement disparu. Il s’obstine. Un jour, une personne « informée » lui laisse entendre qu’il se pourrait qu’une partie des archives d’Havas – très faible – eût été déposée aux Archives nationales. Dans ce cas, comment espérer que le dossier de Guernica ait été conservé ? Southworth ne désespère jamais. Il s’adresse aux Archives nationales. Le renseignement était bon. Quelques bribes, en effet, des archives d’Havas ont abouti à l’hôtel de Rohan. Le dossier Guernica s’y trouve inclus !
C’est ainsi que Southworth pourra expliquer – enfin – l’incompréhensible comportement de l’agence Havas. Un accord avec le ministère des Affaires étrangères prévoyait le paiement à Havas – affaire privée –, à concurrence de 800 000 francs par mois, des « dépenses encourues par l’agence pour le renforcement de ses postes et de ses services étrangers en Europe, en Amérique et en Asie ». Une telle subvention comportait fatalement une réciprocité : pour tout épisode un peu délicat, Havas prenait langue avec le Quai d’Orsay.
C’est ce qui s’est produit pour Guernica. Une note retrouvée par Southworth est cruellement éclairante. Havas demande à son représentant à Bilbao, Fontecha, d’envoyer d’urgence autres témoignages très précis sur destruction Guernica . Fontecha expédie un télégramme contenant les propos révélateurs tenus par le maire de Guernica et par un ecclésiastique basque à la radio de Bilbao. Le télégramme qui arrive à Paris est rédigé en espagnol. On le traduit. Le rédacteur d’Havas auquel il est soumis pour rédaction définitive le juge trop favorable aux Basques . Il s’arrange donc pour qu’il le soit moins. Voici l’extrait de la note qui dit tout : « Ce texte modifié a
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