C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
repos du NKVD.
Quelques-uns des travailleurs polonais ont pris le risque – sans que leurs gardiens s’en soient aperçus – d’éventrer un « monticule à l’aspect artificiel », situé à l’endroit indiqué. Horrifiés, ils ont découvert « le corps d’un officier polonais, en uniforme et botté ». Ils ont refermé précipitamment l’excavation. Quelques mois après, on les a transférés ailleurs mais ceux qui ont reçu leurs confidences ne les ont pas oubliées.
Au début d’avril 1943, des habitants russes de la région parlent de l’affaire à des soldats allemands. Sans trop mesurer la portée de leurs révélations – ils en ont tant vu eux-mêmes ! – ils racontent aussi bien ce qu’ils savent de l’exécution de Polonais par les Russes que l’histoire de la fouille à laquelle ont procédé clandestinement des travailleurs polonais requis. Les soldats rendent compte à leurs chefs. On ouvre une enquête, on interroge des Russes qui répugnent à parler. Leurs réticences mêmes encouragent les Allemands à entreprendre des fouilles systématiques. Elles ne tardent pas à aboutir.
Ce ne sont pas quelques fosses que l’on découvre mais des charniers. Ils s’étalent au sommet des collines qui traversent la forêt.
À mesure que l’on dégage la terre, l’affreux spectacle se précise : rangés comme en des sillons, ce ne sont que des cadavres et encore des cadavres, des corps momifiés d’officiers polonais si bien conservés que l’on n’en croit pas ses yeux. Les uniformes sont en si bon état que, dans les poches, les papiers personnels des victimes sont parfaitement lisibles. Combien sont-ils, ces cadavres ? On ne le sait pas encore. À coup sûr, nombreux. Très nombreux.
Surprise : on exhume aussi des cadavres de civils russes. On apprendra que la forêt de Katyn a servi avant la guerre, aux alentours de la maison de repos du NKVD, de lieu d’exécution. Ces victimes russes ne représentent d’ailleurs qu’une faible proportion des cadavres découverts. Les autres – tous les autres – sont des officiers polonais.
À Berlin, au ministère de la Propagande, les rapports s’empilent sur le bureau du docteur Goebbels. Très vite, l’homme au pied-bot voit le parti à tirer d’une telle aubaine. On va répandre partout la nouvelle, on va flétrir le « monstrueux crime soviétique » et déchaîner ainsi contre les Russes une réprobation universelle. Par voie de conséquence, on mettra leurs alliés américains et britanniques dans rembarras et, du même coup, on rendra la cause soviétique parfaitement impopulaire en Pologne. Ce qui, au moment où les Russes prennent l’offensive, peut se révéler d’une inestimable importance stratégique.
Nous constatons ici la quintessence d’une hypocrisie. Au moment où la découverte de quelques milliers de cadavres polonais suscite la vertueuse indignation du docteur Goebbels, l’Allemagne nazie a déjà acheminé vers ses camps et ses fours crématoires des centaines de milliers de victimes innocentes. Dans quelques jours, le 19 avril, s’engagera le processus définitif de l’anéantissement du ghetto de Varsovie. Qu’importent à Goebbels de telles réalités, puisque le monde les ignore encore ! Pour ce pseudo-Machiavel, le crime ne commence que lorsqu’il est connu. Faisons donc connaître celui de Katyn.
D’où le texte du 13 avril 1943. D’où les informations abondamment diffusées sur les ondes et dans la presse allemandes. La guerre des communiqués commence.
Il faudra deux jours aux Soviétiques pour réagir. Ils le font, le 15 avril à 7 h 15, dans une émission de la radio de Moscou :
« Depuis deux ou trois jours, les spécialistes de la calomnie de Goebbels répandent de viles inventions, prétendant que les autorités soviétiques auraient procédé à une exécution massive d’officiers polonais dans la région de Smolensk, au printemps 1940. En lançant ces monstrueuses calomnies, les canailles germano-fascistes n’ont pas reculé devant les mensonges les plus bas et les plus effrontés, dans leur tentative de masquer les crimes commis, comme il est maintenant devenu évident, par eux-mêmes.
« Les rapports germano-fascistes sur ce sujet ne permettent plus le moindre doute quant au sort tragique des anciens prisonniers de guerre qui, en 1941, étaient affectés à des travaux de construction dans les régions de l’ouest de Smolensk. »
Dans les milieux
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