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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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se sont poursuivies jusqu’au moment où des ordres sont venus – tout à coup – en ralentir le rythme. On tient essentiellement à Berlin à ce que le crime soviétique se trouve dûment authentifié par une autorité internationale. Or on a constaté qu’un contact prolongé des cadavres avec l’atmosphère extérieure facilitait un processus de décomposition. Il faut, jusqu’à l’arrivée des experts, y mettre fin. La momification signalée dans le communiqué d’origine ne concernait que les premières couches de cadavres ; dans certaines fosses, on a découvert « jusqu’à douze couches de corps  (15)  ».
     
    Puisque la Croix-Rouge se dérobe, il faut trouver autre chose. Le chef du service de Santé allemand, le docteur Contin, suggère de créer une Commission internationale, composée de représentants qualifiés des instituts européens de médecine légale et de criminologie. Goebbels accueille l’idée avec enthousiasme.
    On expédie séance tenante des invitations aux pays européens occupés ou neutres. On fait même tenir une invitation au gouvernement polonais de Londres qui fait preuve de sagesse politique et refuse.
    En définitive, ne vont accepter que les gouvernements des pays occupés par l’Allemagne ou alliés de celle-ci : un Belge, un Bulgare, un Danois, un Finlandais, un Néerlandais, un Hongrois, un Italien, un Roumain, un Français, un Tchèque, un Slovaque, un Yougoslave. Un seul expert appartient à un pays neutre : le docteur Naville, de Genève.
    Le 28 avril, treize médecins se retrouvent à Berlin. Le Français Costedoat, ne tenant pas à servir de caution à la propagande allemande, a refusé de répondre à l’invitation de la Commission. Il a fallu un ordre formel de Pierre Laval, alors vice-président du Conseil, pour le contraindre à partir pour Berlin. À peine est-il arrivé dans cette dernière ville qu’il… s’alite. Ce vieil appendice ! Voilà qu’il lui joue encore un de ses tours ! Le docteur Costedoat reçoit les encouragements de ses collègues – lesquels partent sans lui. C’est ainsi que, par la faute d’une providentielle crise d’appendicite, il n’y a pas eu de représentant français à Katyn.
    À leur arrivée sur les charniers, les membres de la Commission expriment le souhait – louable – qu’aucun médecin allemand ne soit mêlé à leurs travaux. On leur donne satisfaction. Ils précisent que l’enquête se situera, à l’exclusion de toute considération politique, dans une perspective uniquement scientifique et se fixera comme triple but :
    1° l’identification des cadavres ;
    2° la recherche des causes du décès ;
    3° la recherche de la date à laquelle le décès est intervenu.
    Si aucun des experts n’a tenu – volontairement – à retracer l’horrible impression ressentie devant les fosses, un écrivain français, Robert Brasillach, participant à un voyage organisé par les services de presse allemands, l’a fait de façon saisissante. On les amenés, lui et ses compagnons journalistes, près des fosses. « Et tout de suite, ce qui nous saute au visage c’est l’odeur… Odeur massive, odeur noire et acre, inoubliable odeur de charnier… La viande pourrie, le gibier grouillant de vermine, le suint des étables longuement fermées, la vomissure, les vieilles gangrènes purulentes, la fermentation des graines semblent se mêler tour à tour dans un atroce composé amer. Peut-être est-ce le poisson avancé que cela nous rappelle le plus. Mais un banc énorme de poissons, pourri dans l’âcreté marine, avec des relents d’abcès crevés, de sanies purulentes, de plaies vertes où coulent des toxines. Oui, vraiment, c’est l’odeur qui nous attaque, qui nous enveloppe… Toute la journée, nous traînerons avec nous, sur nos vêtements, à nos chaussures, cet innommable souvenir gras, indélébile et puant. »
    Les cadavres sont là, rangés tête-bêche, parfaitement reconnaissables dans leur uniforme, avec les bottes, le grand manteau : « Rien ne peut donner l’idée de cet entassement régulier, couche par couche, aussi méthodique qu’un entassement de conserves. Dans cet amalgame, tout semble se tenir, comme si une matière gélatineuse unissait les corps. Il faut les détacher les uns des autres, au bout de fourches ou de tridents, et l’on entend alors une sorte de déchirement de papier gras. Des fossoyeurs indifférents marchent dans le sable et remuent les cadavres.

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