C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
ignorant tout du projet, jure que l’on est occupé à gaspiller deux milliards de dollars « dans une nouvelle et folle entreprise, bien caractéristique de la politique insensée du New Deal ».
Sur tout cela plane une angoisse de chaque moment : où en sont les Allemands avec leur propre bombe ? Pour les priver de l’eau lourde nécessaire à leurs travaux, on a fait sauter l’usine qui fabrique, en Norvège, le précieux liquide. On se persuade qu’ils ont dû contourner la difficulté. Or, faute d’avoir été estimées à leur valeur par les autorités nazies, les recherches nucléaires n’ont que très peu progressé en Allemagne. L’enquête postérieure des services américains montrera que les études préliminaires à la fabrication d’une bombe atomique n’étaient même pas engagées en 1945. Si l’on se réfère au précédent de Napoléon refusant l’offre de Fulton, on peut dire que Hitler a purement et simplement réédité la même erreur.
Roosevelt l’a évitée.
La guerre s’achève en Europe avant que la bombe soit prête. Désormais, c’est au Pacifique que les États-Unis vont consacrer tous leurs efforts.
L’état-major élabore ses plans d’attaque sans tenir compte de l’arme atomique, puisque les plus grands chefs militaires – même Eisenhower, même MacArthur – en ignorent l’existence. On prévoit de débarquer au Japon en deux étapes, la première en novembre 1945 dans le sud du pays, la seconde en mars 1946 face à Tokyo. En se référant à ce qu’a coûté en vies humaines la reconquête du Pacifique, l’état-major estime que les pertes américaines, lors du premier débarquement, s’élèveront à un chiffre intermédiaire entre 30 et 40 000 hommes. Prévisions sans rapport avec celles, fabuleuses, qui feront florès dans les salles de rédaction après la guerre.
Dans le désert du Nouveau-Mexique, tout est prêt pour le premier essai. Le 31 mai 1945, Harry Truman, nouveau président des États-Unis, nomme un comité de cinq personnalités politiques et militaires et de trois hommes de science qui siégera sous la présidence du ministre de la Guerre, Henry L. Stimson. Il doit répondre à une question capitale : faut-il employer la bombe atomique contre le Japon ?
Car l’imprévisible est advenu : plusieurs des savants qui ont contribué à faire naître la bombe se refusent à envisager qu’elle soit lancée ! Léo Szilard lui-même a émis, le premier, les plus expresses réserves. Il voulait en 1939 que les États-Unis disposent de la bombe avant Hitler. On y est parvenu. Le paradoxe est que, pour vaincre Hitler, on n’a pas eu besoin de la bombe. Ne reste en guerre que le Japon qui ne la possède pas. Szilard estime qu’un pays civilisé comme les États-Unis doit se refuser à user unilatéralement de la plus effroyable arme jamais imaginée.
Szilard s’est expliqué plus tard : « Le monde entier savait déjà, et les Japonais eux-mêmes, que le Japon n’avait aucune chance de gagner la guerre. Il fallait donc penser à la paix et laisser les bombes de côté. C’est pourquoi je fis circuler un mémoire parmi les physiciens du projet à Chicago. Ils partageaient tous mon opinion : un bombardement atomique du Japon ne se justifiait d’aucune façon. » Szilard comptait remettre ce mémoire à Roosevelt et, dans ce but, il l’a montré au général Groves qui, avec infiniment de sérieux, lui a déclaré :
— Je souhaite que vous puissiez le remettre au président.
Dix minutes plus tard, l’adjoint de Groves est venu annoncer à Szilard que le président Roosevelt était mort.
À Los Alamos, nombre de savants se trouvent dans le même état d’esprit. « Il était désormais évident, écrira Oppenheimer, que la guerre finirait dans d’assez brefs délais, également avec le Japon, sans recourir à la bombe atomique… En revanche, nous avions une autre préoccupation : que pouvait représenter la bombe dans l’avenir de la civilisation ? »
Le 1 er juin 1945, le comité nommé par Trumann dépose ses conclusions. Il recommande de lancer la bombe au plus tôt sur le Japon. Ceci sans prévenir les Japonais de sa nature.
Face à ce verdict catégorique, l’alarme des savants s’accroît. Sept physiciens qui collaborent au projet Manhattan, préparent à l’intention du président Truman un rapport s’élevant formellement contre l’emploi de la bombe. Parmi eux le prix Nobel Franck et, bien sûr,
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