C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
Léo Szilard. Les signataires préconisent que « la nouvelle arme soit présentée dans un désert ou dans une île non habitée en présence des délégués de toutes les nations ». Des Japonais seraient invités. On créerait ainsi une atmosphère extrêmement favorable à un accord international. L’Amérique s’adresserait au monde : « Voyez l’arme que nous possédons. Pourtant nous ne nous en servons pas. Nous sommes disposés à ne pas l’utiliser dans l’avenir, à condition que les autres nations adhèrent à notre proposition et que l’on sente un contrôle international sérieux…»
Le document destiné au président Truman ne lui est jamais parvenu. Il semble avoir été bloqué par George L. Harrison, adjoint de Stimson et membre du comité qui avait préconisé, quinze jours auparavant, d’utiliser la bombe contre le Japon sans déclaration préalable. Le journaliste William L. Laurence, seul observateur officiel du projet Manhattan, en est demeuré persuadé tout en étant sûr que Truman, s’il avait lu, ne l’aurait pas compris : « À cette époque-là, il était impensable de ne pas faire usage d’une arme qui mettrait fin à la guerre et nul ne voulait se résigner à perdre au moins 500 000 hommes, sans compter au minimum 2 millions de vies japonaises (132) . C’était un argument qu’aucun chef d’État ne pouvait négliger. »
Pendant de longs jours, les savants continuent à se battre contre l’utilisation de la bombe. Ils frappent à toutes les portes. En vain. Le comité Stimson a tranché. Truman a entériné ses propositions. Il n’est plus au pouvoir de personne d’empêcher l’inéluctable.
Le 16 juillet 1945, à 5 h 30, la première bombe atomique expérimentale explose dans le désert du Nouveau-Mexique.
Au moment où s’est déchaînée la terrifiante explosion, un passage d’un livre sacré de l’Inde a traversé l’esprit d’Oppenheimer :
Si le rayonnement de milliers de soleils
Irradiait dans l’instant le ciel
Dans toute sa splendeur apparaîtrait le Tout-Puissant…
Je suis la Mort,
Le fin de tous les Temps.
Le Premier ministre britannique Winston Churchill a déclaré, lui, qu’il s’agissait de la colère de Dieu.
Le combat des savants a échoué. À leur proposition de faire éclater la bombe dans un désert en présence d’une délégation où auraient figuré des Japonais, on a opposé deux objections péremptoires : qu’adviendrait-il si le gouvernement japonais refusait de se ranger à l’avis de ses propres délégués ? Et si – plus grave – la bombe n’explosait pas ? La réussite de l’expérience du 16 juillet a balayé toutes les réserves. Outre celle que l’on vient d’expérimenter, on dispose encore de deux bombes : l’une à l’uranium, Little Boy , l’autre au plutonium, F at Man . On lancera d’abord la première. Si le Japon refuse de capituler, on utilisera la seconde.
Un jour de l’automne 1944, le général Armstrong Jr, de l’Armée de l’air, pénétra furieux dans le bureau du colonel Wilson, à Colorado Springs. Grand spécialiste des bombardements sur l’Europe, il avait appris que plusieurs Boeing B-29 placés sous ses ordres allaient subir une modification incompréhensible : on en supprimerait les canons pour ne laisser, dans la queue de l’appareil, que les mitrailleuses lourdes. Ce jour-là, il fallut toute la diplomatie de Wilson – simple colonel – pour apaiser l’ire du général Armstrong sans rien lui révéler des raisons qui avaient motivé cette transformation.
En fait, ces B-29-là n’avaient plus besoin de canons. Désormais ils n’auraient plus à transporter qu’une bombe, une seule. Wilson avait été chargé par le général Arnold, commandant en chef de l’Armée de l’air, de rassembler les 1 500 officiers et hommes qui devraient participer – de près ou de loin – au lancement de la première bombe atomique. Ce personnel d’élite fut affecté à une unité unique, le 509 e mixte qui, totalement autonome, devait se suffire quant aux moyens de transport, de ravitaillement, d’armement, d’appareils, etc.
Wilson devait aussi recruter les meilleurs pilotes de l’Armée de l’air. C’est parmi eux que serait choisi l’officier chargé de commander, au jour J, le B-29 du destin. Sur la douzaine de noms proposés par Wilson, Arnold retint le colonel Paul W. Tibbets Jr, vingt-neuf ans, brun de cheveux, grand fumeur de
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