C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
l’homme ait jamais contrôlée. Ce jour-là, on maîtrise la fission obtenue et on l’interrompt quand on le décide. Les savants se déclarent convaincus : on peut d’ores et déjà prévoir qu’une telle réaction sera reproduite à l’intérieur d’une bombe.
Puisque le principe est acquis, l’entreprise industrielle prend la première place. À travers les États-Unis, surgissent de terre d’énormes usines destinées à fournir la matière première qui permettra de fabriquer la bombe, soit les 50 kilos de matière fissible qui devront être prêts à l’été de 1945. Pour y parvenir, le projet Manhattan va utiliser jusqu’à 539 000 personnes.
Au début de 1943, les travaux progressent si rapidement qu’il devient nécessaire de désigner, à la tête du laboratoire atomique de Los Alamos, un savant de premier ordre. On choisit Julius Robert Oppenheimer. À dix ans, il lisait Platon, Homère, Virgile et Jules César dans le texte. À trente-huit ans, il connaît neuf langues, dont le chinois et le sanskrit. Diplômé d’Harvard, il est allé soutenir une seconde thèse à Göttingen, s’immergeant ainsi en pleine recherche nucléaire. Le recrutement d’Oppeinheimer, décidé par le général Groves, a soulevé trois difficultés. La première : Oppenheimer ne possédait aucune expérience de l’administration. La seconde : il n’était pas prix Nobel, alors que plusieurs prix Nobel devaient servir sous ses ordres. Ce n’est pas tout : des rapports soulignaient les opinions de gauche d’Oppenheimer et les options « communistes » de plusieurs personnes de son entourage. Groves a balayé toutes les objections. Il a eu raison. Quand la bombe éclatera, l’opinion publique décrétera, à juste titre, que Robert Oppenheimer en est le « père ».
À Groves, demeuré à son quartier général de Washington, Oppenheimer téléphone de Los Alamos plusieurs fois par jour. Les informations qu’ils échangent se réfèrent à un code chiffré. S’ils citent l’atomiste Conant, ils le désignent ainsi : « 5-8, 3-9, 6-2, 0-9, 4-7, 8-1 ». Ce qui ne doit pas faciliter la conversation.
Jamais sans doute on n’a pris des précautions aussi infinies. On surveille non seulement les savants, mais les employés des grades les plus infimes. On censure le courrier, on écoute les conversations téléphoniques. Dans l’annuaire des postes, Los Alamos n’existe pas. Les familles et les amis de ceux qui y travaillent écrivent au « Service du Génie des Forces armées américaines – boîte postale 1539 – Santa Fe – Nouveau-Mexique ». Pour obtenir une permission, les savants et les membres du personnel doivent subir d’interminables interrogatoires et contrôles. Ils sont autorisés à faire venir leur famille mais à la condition, une fois installée à Los Alamos, qu’elle n’en parte plus. Quand un savant doit rejoindre d’autres laboratoires ou installations, des agents secrets l’accompagnent. On dissimule des microphones dans ses bagages. Au cours de tels déplacements, les savants doivent mentir sans relâche quant à leur lieu de travail et l’objet véritable de leur mission.
Parmi le haut personnel politique, personne n’a rien su du projet Manhattan. Le vice-président des États-Unis lui-même, Harry Truman, n’apprendra son existence qu’après la mort de Roosevelt, lorsqu’il deviendra lui-même président ! Des généraux de haut grade, cherchant à s’informer, se sont vu opposer une très sèche fin de non-recevoir. S’étonnera-t-on que les Allemands, pas plus que les Japonais, n’aient rien deviné du projet ? Seuls les Soviétiques ont été mis dans le secret, ceci grâce à l’un des principaux membres de l’équipe chargée de diriger la fabrication de la bombe : le docteur Fuchs. Ils ont reçu d’autres renseignements – d’un très faible intérêt ceux-là – d’un mécanicien nommé Greenglass, beau-frère d’un ingénieur de New York, Julius Rosenberg.
Le soir de Noël 1944, Groves déclare à ses principaux collaborateurs de Washington que les progrès sont tels que, très probablement le 1 er août 1945, on pourra disposer d’une bombe. Du moins, il l’espère :
— Et si jamais la nouvelle arme est défectueuse, chacun de vous pourra se préparer à déposer jusqu’à la fin de ses jours devant des commissions d’enquête parlementaires.
On ne sait rien, mais on critique déjà. Un parlementaire républicain,
Weitere Kostenlose Bücher