C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
monte. Sur les navires, on rallume les feux. On plie les tentes des plages avant et arrière. À leur poste, les artilleurs règlent leurs appareils de pointage. On essaie les transmetteurs d’ordres et les téléphones.
8 h 45. Gensoul signe un message à l’adresse de l’amiral Darlan : « Forces britanniques comprenant 3 cuirassés, 1 porte-avions, croiseurs et torpilleurs devant Oran. Ultimatum envoyé : coulez vos bâtiments délai six heures ou nous vous y contraindrons par la force. Réponse : bâtiments français répondront à la force par la force. »
En fait, cette réplique annoncée n’a pas encore été formulée mais il ne s’en faut que d’un quart d’heure. Dans sa vedette, Dufay accoste à 9 heures le canot du Foxhound toujours amarré à sa tonne. À la demande de Holland, Dufay passe à son bord et, pour que personne d’autre ne puisse entendre, s’enferme avec lui dais la cabine de l’embarcation britannique. Là, il lui communique la réponse notée par lui sous la dictée de Gensoul : « Premièrement, les assurances données par l’amiral Gensoul à l’amiral Sir Dudley North demeurent entières. En aucun cas, les bâtiments français ne tomberont intacts aux mains des Allemands ni des Italiens. Deuxièmement : étant donné le fond et la forme du véritable ultimatum qui a été remis à l’amiral Gensoul, les bâtiments français se défendront par la force. »
Dans la cabine dont toutes les ouvertures sont closes, sous la tôle surchauffée par un soleil maintenant brûlant, les deux hommes transpirent à grosses gouttes. « Torride », notera Dufay. Est-ce pour cela que Holland a perdu son français et que, même en anglais, il bafouille, bégaye ? De sa part, une seule réaction : il demande à Dufay de recopier de sa main sur son propre bloc la réponse verbale de Gensoul. II paraît si peu à l’aise que Dufay croit un instant qu’il a le mal de mer. L’Anglais tente d’expliquer que le message de Somerville n’est pas un ultimatum, mais seulement l’expression d’un espoir : the expression of the hope . Dufay se raidit. Un peu fort, non ? Un espoir, l’annonce catégorique que, si l’on n’obtempère pas, on va vous couler vos bateaux ?
Il continue à plaider, le captain Holland. Les autorités britanniques sont sûres que, dans les circonstances présentes, l’amiral Darlan ne peut plus exercer son commandement en toute indépendance. En conséquence, les forces maritimes françaises se trouvent très exactement dans la situation prévue par le message de Darlan en date du 20 juin. Holland rappelle que, le 20 juin, Darlan avait envoyé à tous les bâtiments un message qui contenait cette phrase sans ambiguïté : en aucun cas la flotte ne sera livrée intacte à l’ennemi .
Bien sûr que Dufay s’en souvient. S’il était dans le secret des dieux, il saurait que Darlan n’a jamais varié dans sa volonté absolue de ne rendre en aucun cas sa flotte aux Allemands ou aux Italiens. Il saurait que, dès le 3 juin 1940, Darlan a déclaré à Jules Moch, ancien ministre de Léon Blum, que, si un armistice intervenait, il se refuserait à livrer la Marine invaincue. Ce jour-là, il a même lancé, en martelant ses mots :
— Alors, je terminerai ma carrière par un acte de splendide indiscipline : je prendrai le commandement de la Flotte et nous rallierons l’Angleterre…
Dufay aurait su aussi que cette prise de position ne représentait nullement l’emportement d’un instant. Le 28 mai, Darlan a rédigé à l’intention de son chef d’état-major, l’amiral Le Luc, une note époustouflante : « Au cas où les événements militaires conduiraient à un armistice dont les conditions comprendraient la reddition de la flotte, je n’ai pas l’intention d’exécuter cet ordre . Si l’Italie est en guerre contre nous, tous ces bâtiments de combat devront entreprendre une action à mort contre la flotte ou les ports italiens. Ceux qui sortiront du combat se réfugieront dans le port anglais le plus aisé à atteindre et se tiendront prêts soit à se détruire, soit à combattre avec les Anglais. Si l’Italie n’est pas en guerre, tous les navires de combat ou de servitude en état de naviguer devront rallier le port britannique le plus aisé à atteindre. Tous les navires susceptibles de traverser l’Atlantique doivent s’efforcer de se rassembler à Halifax, au Canada. »
Il n’avait pas changé, Darlan, quand
Weitere Kostenlose Bücher