C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
C’est un ultimatum, avec cette seule nuance que les termes n’en sont pas encore précisés. L’évident, c’est que les Anglais proposent aux Français de les rejoindre. Dans quelles conditions ? Avec quelles garanties ? Qu’arrivera-t-il si l’on n’obtempère pas ?
Machinalement, Gensoul regarde sa montre. Il est 7 h 15.
La vedette bleue de Dufay vient d’aborder à la coupée.
Bref compte rendu à Gensoul. Il n’est pas du tout content, l’amiral. Il donne l’ordre d’envoyer au Foxhound un message optique sans ambiguïté : « Appareillez le plus tôt possible. » Le Foxhound ne se le fait pas dire deux fois mais, toujours par optique, fait savoir qu’une embarcation de son bord a été détachée vers le Dunkerque . Elle porte les capitaines de corvette Spearman et Davies – et le captain Holland. Quoi ! encore ce Holland ! Pas question. Ordre immédiat à Dufay de sauter dans sa vedette et de foncer au-devant de l’embarcation britannique. À aucun prix, Holland ne doit aborder le Dunkerque . Ce n’est pas, comme on l’a cru et écrit, la réaction d’un marin français anglophobe mis en boule parce qu’il voit se dessiner un chantage britannique. Au contraire. Gensoul sent que sa flotte se trouve dans un tel péril qu’il faut jouer aussi serré que possible. Tant qu’il n’aura pas pris connaissance des termes précis de la proposition de Somerville, il n’aura pas à y répondre. L’essentiel est de gagner du temps.
8 h 15. Les deux vedettes française et anglaise sont bord à bord. Pour que l’entretien se déroule plus commodément, elles vont s’amarrer à une bouée. Debout dans la sienne, Dufay élève la voix pour indiquer à Holland qu’il est inutile d’insister : l’amiral ne le recevra pas. Voilà un Anglais hors de lui. Sans que Dufay puisse l’en empêcher, il saute dans la vedette française ! La stupeur de Dufay est si totale qu’il en reste muet. Holland tire de sa serviette une grande enveloppe à l’adresse de l’amiral Gensoul. De force, il la fourre entre les mains de Dufay et, aussi agile au départ qu’à l’arrivée, bascule dans sa propre embarcation. Dans un état violent, il crie qu’il restera là, amarré à la tonne, tant qu’il n’aura pas reçu de réponse. Réplique immédiate de Dufay : I am afraid there won’t be any replay, « Je crains qu’il n’y ait aucune réponse ».
Dufay regagne le Dunkerque , remet l’enveloppe à Gensoul.
Peut-on imaginer, chez l’homme tranquille qu’est l’amiral, autre chose, quand il décachette l’enveloppe, que de la fébrilité ? Or voici ce qu’il lit :
« À M. l’amiral Gensoul, de la part de l’amiral Somerville. Le gouvernement de Sa Majesté m’a ordonné de vous informer de ce qui suit : nous n’avons accepté que le gouvernement français prenne contact avec le gouvernement allemand qu’à la seule condition que, si un armistice était conclu, la flotte française serait envoyée dans les ports britanniques pour empêcher qu’elle ne tombe entre les mains de l’ennemi. Le Conseil des ministres a déclaré le 18 juin qu’avant de capituler sur terre, la flotte française se joindrait à la force britannique ou se saborderait.
« Alors que le présent gouvernement français peut considérer que les termes de ces armistices avec l’Allemagne et l’Italie sont conciliables avec ses engagements, le gouvernement de Sa Majesté estime impossible, après les expériences précédentes, de croire que l’Allemagne et l’Italie ne s’empareront pas, à tout moment qui leur conviendra, des bâtiments de guerre français et ne s’en serviront pas contre la Grande-Bretagne et ses alliés.
« L’armistice italien prescrit que les navires français devront retourner dans les ports métropolitains et, d’après l’armistice, la France est tenue de fournir des unités pour la défense côtière et le dragage des mines.
« Il nous est impossible à nous, vos camarades jusqu’à présent, de permettre à vos beaux navires de tomber aux mains de l’ennemi, allemand ou italien. Nous sommes décidés à nous battre jusqu’à la fin et, si nous sommes vainqueurs, comme nous pensons que nous le serons, nous n’oublierons jamais que la France a été notre alliée, que nos intérêts sont les mêmes que les siens et que notre ennemi commun est l’Allemagne. Si nous sommes vainqueurs, nous déclarons solennellement que nous restaurerons la France
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