C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
Dufay.
Les témoignages présentant d’évidentes discordances, nous devons nous reporter à un document incontestable : le compte rendu des missions exécutées par le lieutenant de vaisseau Dufay le 3 juillet 1940 : « Ayant été prévenu à 6 h 45 de me préparer à rendre visite au captain Holland, à bord du destroyer Foxhound , je pris les ordres du commandant en chef qui étaient les suivants, écrits sur un feuillet blanc : “ — offrir au captain Holland les compliments usuels de bienvenue ; — le prévenir que, conformément aux instructions de l’amirauté française, les bâtiments britanniques n’étaient pas autorisés à communiquer avec la terre ni à se ravitailler dans les ports français ; — recevoir du captain Holland tous documents dont il pourrait être porteur pour le commandant en chef ; — dans le cas où le captain Holland serait chargé d’une mission verbale, lui faire savoir que le commandant en chef ne voyait aucune objection à envoyer à son bord son chef d’état-major . (32) ” »
Il faut donc voir Dufay, avec ses cheveux en brosse, descendre dans la vedette bleue qui, en permanence, attend à la coupée tribord arrière. Comme tous les officiers, il est vêtu de blanc. À bord de la vedette, deux matelots munis de hallebardes se tiennent très droit sous le regard du patron, un quartier-maître. À 7 h 15, on accoste le Foxhound .
À la coupée, les honneurs sont rendus à l’anglaise, c’est-à-dire avec sifflet. Dufay trouve sur le pont le commandant du bateau, le commander G. H. Peters, large et puissant, et d’autres officiers dont un historien britannique nous dit qu’ils étaient à la fois « gonflés à bloc et tendus ». Reprenons le compte rendu : « Le captain Holland sortit de l’échelle des officiers, sa serviette à la main, et, m’ayant reconnu, me remercia de lui avoir si promptement envoyé une embarcation et d’être venu moi-même le prendre à bord. » En effet, les deux officiers se sont rencontrés à Paris quand Holland s’y trouvait en poste. Ils ont sympathisé.
Dans un anglais façon Maurice Chevalier, Dufay s’adresse le premier à Holland. Il l’informe que l’amiral Gensoul ne juge pas utile de le recevoir. Holland ne peut dissimuler sa contrariété. Crispé, il répond que ses ordres l’invitent à remettre à l’amiral un document d’une grande importance. En mains propres , ajoute-t-il. Il lui appartient de le commenter personnellement . Seul il peut entourer ce texte de « tous les éclaircissements nécessaires ». Dufay hoche la tête. Il comprend mais, précise-t-il, il n’est ici qu’un porte-parole. L’émotion visible de Holland frappe Dufay. L’Anglais le supplie d’insister. Il doit voir l’amiral. Tout ce que peut répondre Dufay, c’est qu’il transmettra.
La vedette bleue s’en retourne vers le Dunkerque .
Or, avant même que Dufay ait rejoint le bâtiment, le centre de transmissions du navire amiral a, sur la longueur d’ondes de l’Amirauté, capté un télégramme rédigé en français : « Amiral Gensoul, commandant en chef escadre de l’Atlantique. Envoie le commandant Holland conférer avec vous. La Marine royale espère que les propositions vont vous permettre, la Marine française vaillante et glorieuse, de se ranger à mes côtés. En ce cas, vos bâtiments resteront toujours les vôtres et personne n’aurait besoin d’aucune anxiété dans l’avenir. La flotte britannique est au large d’Oran pour vous accueillir. » C’est signé : Amiral Somerville.
Gensoul ne comprend pas. C’est du charabia, ce télégramme, ou quoi ? À ce moment précis, le téléphone sonne. Le chef d’état-major décroche, écoute, pousse une exclamation, pose l’appareil, s’avance vers Gensoul et, la voix altérée, lui confirme qu’une imposante force britannique croise au large d’Oran : la « veille à terre » l’a vue, les sémaphores de la côte le confirment. On a reconnu le fameux Hood , ses 42 000 tonnes et ses pièces de 380. Mais aussi le Valiant et la Resolution , avec les mêmes pièces de 380, ainsi que le plus rapide des porte-avions anglais, l’ Ark Royal . Pour les autres, on est moins sûr, on se borne à signaler des bâtiments légers et des torpilleurs.
Le visage de Gensoul s’imprègne d’une gravité extrême. La présence d’une telle force devant Mers el-Kébir, voilà qui éclaire le sens du télégramme de Somerville.
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