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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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dans sa grandeur et l’intégrité de son territoire. À cet effet, nous devons être sûrs que les meilleurs bâtiments de la Marine française ne seront pas utilisés contre nous par l’ennemi commun.
    « Dans ces conditions, le gouvernement de Sa Majesté m’a chargé de demander à la flotte française qui se trouve actuellement à Mers el-Kébir et Oran d’accepter l’une ou l’autre des propositions suivantes :
    « A. Appareiller avec nous et continuer à combattre pour la victoire contre les Allemands et les Italiens.
    « B. Appareiller pour un port britannique avec équipages réduits sous notre contrôle. Ces équipages seront rapatriés le plus tôt possible. Si l’une ou l’autre de ces propositions est acceptée par vous, nous vous rendrons vos bâtiments à la fin de la guerre ou paierons une pleine compensation s’ils ont été endommagés entre-temps.
    « C. Dans le cas contraire, si vous vous croyez obligés de stipuler que vos bâtiments ne devront pas être employés contre les Allemands ou les Italiens, puisque cela romprait l’armistice, appareiller avec nous, avec équipages réduits pour un port français des Antilles, la Martinique par exemple, où vos navires pourront être démilitarisés à notre satisfaction ou peut-être être confiés aux États-Unis d’Amérique et demeurer en sécurité jusqu’à la fin de la guerre, les équipages étant rapatriés.
    « Si vous refusez ces offres raisonnables, je devrai, avec un profond regret, vous sommer de couler vos bâtiments dans les six heures. Enfin, si aucune des propositions ci-dessus n’est acceptée, j’ai ordre du gouvernement de Sa Majesté d’employer toute la force nécessaire pour empêcher vos bâtiments de tomber entre les mains allemandes ou italiennes. »
    Un tel texte trouverait idéalement sa place dans ces livres blancs que publient volontiers les gouvernements embarrassés. Des diplomates seraient enchantés d’en discuter chaque alinéa autour d’un tapis vert. La différence, ici, vient de la mort que l’on entrevoit au bout des longs canons du Hood , du Valiant , de la Resolution . Elle est littéralement accrochée à la réponse que pourra livrer Gensoul.
    C’est dans l’attente de cette réponse que la formidable escadre a surgi de la brume et que les flancs d’acier de ses bâtiments luisent là-bas sous le soleil, à dix milles au nord. Que ses canons sont braqués, ses torpilles armées et ses avions prêts à décoller.
    Se rendre aux Anglais ? Gensoul, marin discipliné, estime d’emblée qu’il n’en a pas le droit. Ce sentiment est partagé par la quasi-majorité des membres de l’équipage. Quand le bruit va courir, un peu plus tard, que l’on pourrait appareiller avec les Anglais, on constatera, à bord des bâtiments qui comptent une majorité de réservistes, un début d’émeute. Gensoul ne doute pas que, s’il en passait par là, Hitler considérerait que la France a violé une clause essentielle de l’armistice. Quelle serait alors sa réaction ?
    Gensoul relit les formules si précises : « Équipages réduits sous notre contrôle… Démilitarisés à notre satisfaction…» Un marin français peut-il envisager, ne serait-ce qu’un instant, d’entrer dans un jeu qui, à ses yeux, marquerait le pavillon d’une tache ? L’amiral ne veut même pas y songer. Gensoul le pondéré se conduirait-il soudain en boutefeu ? Nullement. Ce qu’il retient – et ce qui le frappe au plus haut point – c’est le trouble manifesté par Holland. Si le captain montre tant d’émotion, c’est que les Anglais ne sont pas sûrs d’eux. On pourra donc négocier.
    Négocier. Telle sera, durant des heures, la pensée obsédante de Gensoul. Tout démontre qu’il ne croit pas réellement que les Anglais en viendront à la mesure extrême qu’ils osent annoncer. Il ne veut pas admettre que ces alliés de la veille, en particulier ce North qui a navigué sous son propre commandement, puissent en venir à ouvrir le feu sur des compagnons d’armes.
     
    Négocier, oui, mais dans une position qui, si possible, en imposera. À 8 h 53, l’amiral Gensoul ordonne le branle-bas de combat. Il fait rappeler tous les hommes en promenade. Pour les bâtiments les plus proches de la terre, une sonnerie de clairon suffira. Pour les autres, des appels de sirène. À quai, les hommes accourent, les canots et les chalands les embarquent. Toujours les clairons, toujours les sirènes. La fièvre

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