C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
l’engagement de désarmer ses bâtiments. Sous les yeux de Holland, il rédige au crayon une note qu’il veut lourde de sens :
« 1° La flotte ne peut pas ne pas appliquer les clauses de l’armistice, eu égard à la France métropolitaine qui en supporterait les conséquences.
« 2° Elle a reçu des ordres formels et ces ordres ont été transmis à tous les commandants pour que, si après l’armistice, les bâtiments risquaient de tomber entre les mains de l’adversaire, ils soient conduits aux États-Unis ou sabordés.
« 3° Ces ordres seront exécutés.
« 4° Les bâtiments qui sont actuellement à Oran et Mers el-Kébir ont commencé depuis hier, 2 juillet, leur démobilisation avec réduction des équipages. Les hommes originaires de l’Afrique du Nord ont été débarqués. »
Holland lit et relit la note. Il ne sait pas, il ne sait plus. Il fait transmettre au Foxhound le texte de Gensoul avec ce seul commentaire : « Mais ceci n’est pas tout à fait ma proposition, ne puis m’en approcher plus. »
16 heures. Somerville à Gensoul : « Si une des propositions britanniques n’est pas acceptée pour 17 h 30 BST (heure d’été britannique), il faut que je coule vos bâtiments. »
16 h 25. Le message est reçu à bord du Dunkerque à l’instant où Holland et Davies quittent le bateau. Les honneurs sont rendus à la délégation britannique. Un dernier regard entre Holland et Dufay : navré. La vedette s’éloigne. On ne se parlera plus. On ne communiquera plus.
À bord de la flotte française, nouveau branle-bas de combat. Que tous les bâtiments soient prêts à appareiller ! Les bateaux plus légers se libèrent les premiers : le Volta , le Lynx , le Terrible . Le Strasbourg coupe son amarre. Seul le Dunkerque , étrangement, n’est pas prêt à se délivrer de sa chaîne axiale.
16 h 56. À bord de toute la Force H : Fire ! Un épouvantable fracas : la première salve. Trop court. Les obus s’abattent à l’extérieur de la jetée, ne provoquant que des geysers artificiels.
La Force de Raid n’a plus de raison de se gêner. Appareillez ! La seule chance, c’est de se libérer du mouillage avant la seconde salve. Et puis, dès qu’on sera en position : Ouvrez le feu !
Le Strasbourg , ayant filé sa chaîne bâbord, largue ses amarres arrière, prend de la vitesse et abat sur tribord. Bravo, commandant Collinet. Le Dunkerque prend du retard.
Fire ! La seconde salve. Les pointeurs britanniques ne sont pas des novices. Cette fois, ils atteignent en plein la jetée. Le phare est touché, emporté. Des hommes sont tués. Les premiers morts de Mers el-Kébir (33) . Le Dunkerque ouvre le feu.
16 h 59. Fire ! La troisième salve s’abat sur l’intérieur de la rade. Un navire est touché de plein fouet, la Bretagne . Coup mortel pour le cuirassé. Vers le ciel jaillissent d’immenses flammes. Le commandant Le Pivain cherche à manœuvrer, au moins à s’échouer. Impossible. Les machines ne répondent plus : la Bretagne a été atteinte dans ses œuvres vives. Déjà, elle s’incline, se renverse. Le mazout se déverse dans la mer. Les hommes qui tentent d’échapper au brasier, puis au cercueil flottant qu’est devenu le cuirassé, sautent dans le mazout, s’y engluent, s’asphyxient, coulent. L’horreur. Le lieutenant de vaisseau Jean Boutron se souviendra : « La fumée maintenant nous masque tout ; la Bretagne se couche. Je suis obligé d’enjamber la rambarde, de me tenir en dehors pour rester debout. Le commandant en fait autant, où sont les autres officiers ?… Et puis, d’un seul coup, la gîte prend son élan. J’éprouve presque un soulagement : nous allons donc chavirer avant de sauter… Le bateau tourne maintenant. Il paraît tressaillir, perdre son équilibre puis, brusquement, chavire en s’enfonçant. Agrippé, presque debout sur la rambarde qui s’incline rapidement, je vois à tribord mon télépointeur frappé par l’eau tandis qu’à bâbord le pont se retourne sur moi. Ma dernière vision est celle du blockhaus de tir du tripode que je vois décrire un grand arc de cercle et plonger. C’est alors le bouillonnement de l’eau qui m’emporte, la sensation d’être aspiré vers le fond. C’est fini. (34) »
Jean Boutron sera sauvé : un miracle. Sur les 1 300 hommes d’équipage, il y a 900 morts. Des 48 officiers de la Bretagne, il ne reste que huit dont trois blessés, l’un étant le
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