C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
désespérément s’inscrira dans le ciel de Londres.
III
Monsieur Lafont
de la Gestapo française
Fin juillet 1940
Très raide en son uniforme vert-de-gris, l’officier allemand se présente :
— Capitaine Radecke.
Il tend un document au directeur de la prison de Fresnes qui, l’ayant lu, reste sans voix. Il ne peut méconnaître, en cette fin de juillet 1940, que la Wehrmacht occupe Paris depuis six semaines mais jamais, dans l’histoire pénitentiaire française, un fonctionnaire de son rang n’a rien reçu de pareil. Monsieur le directeur est sommé de libérer séance tenante tous les détenus qui lui seront désignés par Monsieur l’officier.
Logiquement, de telles libérations ne devraient s’accomplir que sur décision d’un magistrat français, à la rigueur sur arrêté administratif. D’évidence le capitaine allemand n’y songe pas.
Le directeur obtempère – que pourrait-il faire d’autre ? Alors seulement il remarque que l’Allemand est flanqué d’un civil d’une quarantaine d’années, grand gaillard à l’allure massive, aux larges épaules, brun de cheveux, avec un regard perçant et noir. Après quelques mots échangés à mi-voix entre cet homme et l’Allemand, impossible de douter : il s’agit d’un Français.
Quand le directeur et le capitaine s’engagent dans les couloirs de la prison, le grand gaillard suit. On ouvre la porte de la première cellule. L’Allemand demeure en retrait. Le Français s’avance seul, inspecte longuement le contenu de la pièce. La plupart du temps, les occupants n’ont droit qu’à un regard dédaigneux. La porte se referme, l’exploration continue. De temps à autre un sourire éclaire le visage du visiteur. Il s’adresse à un assassin, à un voleur ou à un escroc : comment le directeur l’oublierait-il ?
— Libérez-le, dit l’homme.
Le capitaine Radecke se contente d’approuver. Vingt-sept détenus vont ainsi quitter la prison. À chacun d’eux, l’homme aux cheveux noirs a dit simplement :
— T’es libre.
Il s’appelle Henri Lafont. Ce jour-là, il commence à recruter les effectifs qui, au service des Allemands, composeront ce que l’on a appelé la Gestapo française. À ces individus en marge – ils le sont tous –, le service de l’Allemagne nazie va fournir l’occasion d’une revanche acquise au mépris de tous les principes moraux existants.
Au prix de toutes les abjections.
Automne 1913. Boulevard de Port-Royal on vient d’enterrer un homme. Valise à la main, une femme descend l’escalier : la veuve part vers d’autres amours. Délibérément, elle abandonne dans l’appartement son fils de onze ans. À la fin de l’après-midi, on chasse l’enfant de l’appartement.
Où aller ? La nuit tombe. Irrésistiblement, les pas du petit le conduisent là où, le matin, il a accompagné son père disparu : le cimetière. Il se glisse dans les allées déjà obscures. Voici la tombe du père. Henri a froid, il a peur. Il s’étend sur cette tombe. Il y passera la nuit.
L’histoire se terminera en roman d’épouvante. Elle commence comme une nouvelle de Dickens. Henri trouvera du travail aux Halles. On n’y est pas difficile sur le recrutement, y compris celui des enfants en âge scolaire. Son école, désormais, est celle de la rue. Avec des voyous de son âge, il vole les chaises des cafés, les revend au marché aux puces. Il fait les poubelles. Un jour, un charcutier l’engage comme commis. Le gosse travaille dur. Il est content. Au fond, il ne demandait que cela. Le soir de Noël, il livre une commande chez un bourgeois. La facture se monte à 95 francs. Le bourgeois lui remet un billet de 100 francs :
— Le reste sera pour toi.
Henri rapporte le billet à son patron, réclame les 5 francs – un mois de salaire. Pour toute réponse, une paire de gifles. La nuit même, Henri s’enfuit et, en guise d’indemnité, vole la bicyclette du charcutier. Bien sûr, on le rattrape et ce larcin le conduira devant le tribunal pour enfants. Résultat : la maison de correction jusqu’à sa majorité. On l’incorpore au 39 e régiment de tirailleurs algériens. « Au cours de ces deux années de service militaire, signalera son avocat, M e Floriot, il n’a pas eu une seule punition. »
Rendu à la vie civile, il se met en ménage avec une jeune femme – il l’épousera plus tard – qui lui donnera deux enfants : un garçon, Pierre, une fille, Henriette. À
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