C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
pouvaient guère agir autrement. Pour Gensoul, une illusion meurt.
D’ailleurs, à Londres, on trouve que la patience de Somerville outrepasse les limites autorisées. Du cabinet de guerre britannique vient un ordre impérieux :
— Fi nissez-en avant la nuit !
12 h 30. Une escadrille d’hydravions britanniques mouille cinq mines magnétiques à l’entrée de la passe et dans la passe elle-même. L’heure, fixée par Somerville, est venue. Le service d’observation aérienne signale que la flotte française n’est nullement préparée à appareiller. Tire-t-on sur un ennemi qui n’est pas en état de se défendre ? Somerville reporte à 14 heures l’ouverture du feu.
13 h 10. Message du Foxhound au Dunkerque : « Si vous acceptez les propositions, hissez au grand mât un pavillon carré, sinon je vais ouvrir le feu à 14 heures. »
Pour la première fois , quand il déchiffre ce message, Gensoul croit à la réalité de la menace. Ce n’était donc pas du bluff ! Aussitôt il fait hâter les préparatifs de combat et d’appareillage, réarmer les batteries côtières et la DCA, il met l’aviation et les sous-marins en alerte. Ce qui surprend, c’est que Gensoul ne modifie pas l’emplacement de mouillage des bateaux.
Il faut savoir que tous ces grands bâtiments sont mouillés poupe face à la jetée. Dans un rapport du 9 juillet 1940, Gensoul expliquera : « Les dispositions et les fonds dans le port de Mers el-Kébir ne se prêtaient pas à l’amarrage des cuirassés l’avant à la jetée, c’est-à-dire vers le large. » Il reconnaîtra : « Une telle situation dans laquelle en particulier les seize canons de 330 du Dunkerque et du Strasbourg n’étaient pas tournés vers le large, ne se prêtait pas incontestablement à une défense contre des attaques venant de la mer. »
Jusqu’ici nous n’avons rien à reprocher à Gensoul. Cette fois nous pouvons nous demander pourquoi il n’a pas mis plus tôt ses navires en position de faire mouvement. Ils sont amarrés si solidement à la jetée qu’il faudra plusieurs hommes – aussi de longues minutes – pour libérer chaque navire d’amarres compliquées et difficiles à larguer. Seul le commandant du Strasbourg – sans attendre les ordres de l’amiral – fera sauter ses amarres pour les remplacer par un simple filin que l’on pourra trancher, le moment venu, d’un coup de hache.
Peut-être Gensoul a-t-il redouté que le moindre changement de position d’un de ses navires – observés sans relâche par les Britanniques – fut pris par ceux-ci pour un acte de guerre et les incitât aussitôt à déclencher le feu ? Il ne l’a pas confié. Sommes-nous d’ailleurs fondés, plusieurs décennies après et du fond de notre bureau, à nous substituer à un homme qui voyait la mort en face ?
13 h 30. Elle approche, la mort. Il ne reste qu’une demi-heure. Gensoul ne se résigne pas. Il signale au Foxhound : « Je n’ai pas l’intention d’appareiller. J’ai télégraphié à mon gouvernement dont j’attends la réponse. Ne créez pas irréparable. Suis prêt à recevoir personnellement votre délégué pour discussion honorable. »
13 h 50. À l’instant où ce message est reçu, Somerville rapporte son ordre d’ouvrir le feu. Est-ce l’espoir d’un accord ? Une vedette du Dunkerque se porte au-devant du canot dans lequel ont pris place le captain Holland et le capitaine de corvette Davies.
15 h 15. Les deux officiers britanniques sont accueillis à bord du Dunkerque et conduits dans la cabine de l’amiral Gensoul. Dès après le déclenchement du branle-bas de combat, les hublots ont été clos, leurs tapes de bronze vissées. Pas un souffle d’air. Une moiteur à couper au couteau. Les uniformes blancs des officiers se collent à leur peau mais, si l’on respire mal, ce n’est pas seulement à cause de la chaleur. Gensoul plaide, il plaide longuement, montre à Holland l’original des ordres de l’Amirauté française invitant les navires, en cas de nouvelles décisions de la Commission d’armistice qui les mettraient en péril, à se saborder ou à partir pour les États-Unis. Les Anglais se trompent tragiquement ! Il n’y a aucun risque de voir la Force de Raid tomber aux mains des Allemands ou des Italiens !
Holland réitère les arguments qu’il a longuement développés devant Dufay. Pour montrer sa bonne volonté, Gensoul affirme qu’il est prêt à prendre
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