C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
l’hospitaliser pour diabète. De l’hôpital militaire, le 5 mars 1944, il cherche à démontrer à son père que celui-ci avait tort d’affirmer naguère : « Les temps durs exigent des méthodes dures. » Ludwig Gerstein veut le rassurer : « Tu es soldat, fonctionnaire et tu dois obéir aux ordres de tes supérieurs. C’est celui qui donne les ordres qui en porte la responsabilité, non celui qui les exécute. Il ne peut y avoir de désobéissance, tu dois faire ce qu’on t’ordonne, c’est ainsi que j’ai appris les choses en tant que vieux fonctionnaire et vieil officier prussien. » À l’automne de 1944, de retour à Berlin, son état physique nécessite une nouvelle hospitalisation.
À la fin de mars 1945, il quitte Berlin pour rejoindre Tubingen où se trouvent sa femme et ses trois enfants. D’ores et déjà, avant même que soit achevée la guerre en Europe, il a décidé de se rendre chez les Alliés pour leur délivrer son témoignage. Dès le mois de mars, il a prévenu de ses intentions son ami Helmut Franz qui, inquiet, l’a mis en garde :
— Comment t’y prendras-tu pour expliquer aux troupes alliées que tu n’es pas un véritable officier SS et que tu as commis des actes de résistance ?
Selon Franz, quand Kurt Gerstein a pris congé de sa femme, il était « plein d’espoir » :
— On entendra parler de moi, compte là-dessus ! Tu seras étonnée d’apprendre tout ce que j’ai fait !
Il va donc se présenter au commandant militaire français de Reutlingen et lui raconte son incroyable histoire. L’officier, qui semble le prendre au sérieux, lui délivre un certificat selon lequel Gerstein doit être traité avec ménagement. À Rottweil où il réside à hôtel Mohren, il lui suffit de se présenter une fois par jour à la gendarmerie française. C’est là, dans sa petite chambre, qu’il va rédiger les différentes versions de ses « confessions ».
En zone française, circulent de nombreux Américains et Britanniques. Le 5 mai, Gerstein remet un exemplaire en langue française de son récit à un officier américain et un autre à un officier anglais. On lui pose la question qui, résumant tout, reste la plus redoutable :
— Étiez-vous au courant de l’utilisation des chambres à gaz pour l’assassinat de détenus ?
En répondant, il se perd :
— En qualité d’ingénieur, j’ai eu souvent à donner des conseils au sujet du fonctionnement de ces installations. Deux gaz étaient utilisés : l’acide cyanhydrique et le gaz d’échappement des moteurs à combustion interne.
Le 26 mai 1945, Kurt adresse une lettre à sa femme. La dernière. Arrêté le même jour par les Français, il est transféré à Constance et, au début de juin, conduit à Paris. On l’interroge, au 48, rue de Villejust, dans les locaux de l’ORCG (Organe de recherche des criminels de guerre). Le 5 juillet 1945, on l’incarcère à la prison militaire du Cherche-Midi. Le 10 juillet, il est inculpé « d’assassinats et de complicité d’assassinats ».
La prison du Cherche-Midi est l’une des plus vétustes de Paris. La cellule de Gerstein ressemble à celle qu’a dépeinte un autre détenu : « Un trou obscur sans éclairage ni chauffage où grouillaient des poux et des punaises qui résistaient à toutes les tentatives d’extermination. »
Le 25 juillet, le gardien qui, à 14 heures, ouvre la porte de la cellule de Gerstein, le trouve pendu. À 17 heures, le docteur Jacques Trouillet, appelé pour constater le décès et procéder à l’autopsie, juge que le suicide ne fait aucun doute. Dans son rapport du 1 er août 1945, le docteur Piedelièvre, célèbre médecin légiste, confirme « qu’il s’agit d’un pendu banal, c’est-à-dire ne présentant aucune trace de violence, mais un sillon de pendaison typique sans lésion profonde au cou ». Un rapport du commissaire de police du quartier Notre-Dame-des-Champs fait connaître que Gerstein a laissé plusieurs lettres dans lesquelles il annonçait son intention de se donner la mort. Elles ont disparu (82) .
Il est inhumé, le 3 août, dans la fosse commune du cimetière de Thiais. Depuis, la zone a été nivelée. Il ne demeure aucune trace de la sépulture de Kurt Gerstein, « espion de Dieu ».
V
La tragédie du « Laconia »
12 septembre 1942
Le Laconia glisse dans la nuit tombante. S’engloutissant à l’horizon, le soleil empourpre l’Atlantique Sud. On se prépare
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