C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
pour la nuit. Simple routine : il faut camoufler les lumières et fermer les coursives qui donnent sur le pont.
Un gros bateau, ce Laconia – 19 695 tonnes – mais pas tout jeune : vingt ans d’âge. Avant la guerre, il naviguait sur la ligne de l’Atlantique Nord. Comme tant d’autres navires civils, il a été transformé en transport de troupes. Le 12 septembre 1942, se côtoient à son bord des officiers et des soldats britanniques ; des fonctionnaires et leurs familles, femmes, enfants ; des prisonniers, 1 800 Italiens capturés en Libye. À l’embarquement, on les a fait descendre dans les cales. Devant les grilles refermées, des soldats polonais ont pris place, baïonnette au canon.
On a quitté Suez le 12 août. Destination : la Grande-Bretagne par le sud de l’Afrique. Impossible de se hasarder dans une Méditerranée infestée de navires allemands et italiens.
Jamais le bateau n’a transporté autant de passagers. Certes, on a laissé en route deux cents femmes capturées par les armées britanniques – prostituées, espionnes de bas étage, agents de l’Axe – mais, au hasard des escales, on a procédé à d’autres embarquements. Tandis que le Laconia , vent arrière, file ses 15 nœuds, le commandant Sharp sait qu’on le tient pour responsable de 2 789 personnes, équipage, passagers et prisonniers.
La nuit tombe vite sous les tropiques. À 19 h 30, on a servi le repas du soir. À 20 heures, le repas s’achève et il fait nuit noire. Dans le salon, le pick-up diffuse un blues. Comme chaque soir, des couples commencent à danser. D’autres se sont assis autour des tables de bridge, bien décidés à l’emporter à tout prix. Un grand nombre, avides de respirer un peu d’air frais, sont montés sur le pont. Dans les cales, agglutinés près des manches qui ne distillent qu’un peu d’air moite, les Italiens maudissent leur sort, comme chaque jour, chaque heure, chaque minute.
C’est alors, à 20 h 07, qu’une formidable détonation ébranle tout le navire. Les portes volent en éclats. On voit partout flotter une étrange poussière grise. La lumière baisse d’un seul coup. À peine commence-t-on à s’interroger sur ce qui arrive qu’une seconde explosion retentit. Les machines s’arrêtent. Il ne subsiste plus, à bord du Laconia , qu’un effrayant silence.
Toute une partie du navire n’est plus éclairée. Dans l’obscurité, on se hèle. Les officiers crient qu’il faut monter sur le pont : les équipes de sauvetage s’occuperont de tout. Peu à peu, le Laconia donne de la bande. On ne constate cependant aucune panique. Une telle situation, on l’a si souvent « répétée » ! Dans la partie encore dotée de lumière, les hommes, les femmes courent chercher les gilets de sauvetage dans leur cabine puis, pour gagner les ponts supérieurs, se retrouvent dans les escaliers. Chacun sait où il doit rejoindre l’embarcation qui lui a été affectée. Les mères rassurent leurs enfants. D’autres vont jusqu’à plaisanter.
Tout à coup, les retardataires entendent un long cri qui, venant du bas, s’amplifie d’instant en instant. Finalement, on voit surgir, fous de terreur, bousculant tout sur leur passage, les prisonniers italiens. Lors des deux explosions, leurs cages étaient fermées. Ils ont supplié les gardiens polonais de les ouvrir. Sans ordre, les Polonais ont refusé. Les Italiens se sont rués sur les grilles. Les premiers s’y sont écrasés. Peu à peu, les barreaux de métal ont cédé. Bientôt, les grilles se sont abattues. Les Polonais n’ont pas tiré car leurs fusils n’avaient pas de balles mais ils ont croisé les baïonnettes. Plusieurs Italiens en ont été lardés. Après quoi, les Polonais ont renoncé. Face à cette cohue tremblant de peur et vibrant de colère, ils étaient trop peu. Les Italiens se sont précipités dans les escaliers. Pour eux, le pont ne signifiait peut-être pas la vie sauve mais c’était au moins une mort à l’air libre.
De minute en minute, la bande du Laconia s’aggrave. De ce fait, sur tout un côté du navire, les embarcations sont déjà inutilisables : bloquées contre le flanc incliné, il est impossible de les faire glisser à la mer. L’explosion a en outre détruit trois canots, endommagé plusieurs autres. On comprend vite qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde. Loin de là. Dans les canots de sauvetage en état d’être manœuvrés – ceux de l’autre
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