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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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à 22 heures, heure allemande. Soit à 20 heures, heure anglaise.
    À 22 h 07, Wemer Hartenstein appuie lui-même sur le levier du tube lance-torpilles n° 1 et, vingt secondes plus tard, sur le levier du tube n° 3. Après quoi, flegmatiquement, il lance :
    — Bon appétit, messieurs les Anglais !
     
    Les hommes qui se trouvent dans la « baignoire », comme disent les sous-mariniers, voient distinctement la première torpille frapper au milieu du navire. Une gerbe d’eau s’élève le long de la coque jusqu’au pont supérieur. Quand elle retombe, on découvre un trou béant dans la coque. C’est l’arrière qu’atteint la deuxième torpille. On saura plus tard que la première a percuté la cale n° 4, contenant 450 prisonniers italiens dont presque tous ont été tués. La deuxième torpille a frappé à la hauteur de la cale n° 2, également remplie d’Italiens.
    Les deux coups au but sont salués par un énorme hourra. Le sous-marin glisse lentement vers sa proie. Hartenstein évalue le tonnage du navire : au moins 15 000 tonnes. L’ U 156 va inscrire à son actif un total de 100 000 tonnes de navires coulés ! Sûrement, en son quartier général parisien du boulevard Suchet, l’amiral Dönitz sera content. En attendant, l’équipage du sous-marin va fêter ça : on garde à bord d’excellents alcools. Une telle victoire mérite une tournée générale.
    Les victimes ? Personne ne veut y penser. Après tout, ce transport de troupes est chargé de combattants, tous des ennemis de l’Axe. Si les marins devaient réfléchir aux blessures infligées, aux tués, aux noyés, aux agonies de ceux qui nageront jusqu’au bout de leurs forces, comment feraient-ils leur métier ? Il y a des sujets qu’ils s’interdisent d’évoquer. Comme leur propre destin, par exemple. Un sous-marin est un cercueil potentiel. Ne pas songer à la mort de ceux d’en face, ne pas songer à la sienne : règle d’or pour faire la guerre en mer.
    Soigneusement, Hartenstein va noter sur son livre de bord : « 22 h 07. – 7 721. Torpilles tubes I et III sur demi-angle. Longueur ennemi 140 – temps de marche 3’6". Un coup au but. Deuxième coup au but entendu. Vapeur doit être beaucoup plus grand – vapeur a stoppé. Met les canots de sauvetage, penche en avant – côté sous le vent – sommes à 3 000 mètres. »
    Avant le naufrage du vapeur, un timonier est accouru et a remis à Hartenstein le message que l’on venait de capter. Le bateau en train de couler fait connaître sa position, son nom – Laconia  – et annonce qu’il transporte un grand nombre de passagers, militaires et civils. Surtout, il réitère sans interruption l’appel SSS. Hartenstein sursaute. Ce n’est pas un SOS classique : Save Our Souls (sauvez nos âmes). Ici, la lettre S veut dire submarine . Donc les naufragés ont donné l’alarme. SSS, c’est signaler aux paquebots et avions alliés, que l’on trouvera un sous-marin ennemi à la position que l’on devine. Sur-le-champ, Hartenstein a donné l’ordre de brouiller le message du Laconia .
    On avance toujours vers le navire qui coule. La nuit est plus claire. La mer apparaît littéralement jonchée de naufragés. On réduit la vitesse. Jusqu’ici, Hartenstein s’est attaqué à des cargos, à des pétroliers. Les victimes n’ont pas été si nombreuses. Pour la première fois, il vient de couler un paquebot transportant non seulement des soldats, mais des civils. Parmi ces derniers, combien de femmes, combien d’enfants ?
    Certes, ce n’est pas drôle, mais qu’y faire ? C’est la guerre. Pour obéir aux ordres de Dönitz, Hartenstein devrait, parmi ces naufragés, rechercher le commandant et le chef mécanicien. Les capturer, c’est ôter à l’ennemi un potentiel de guerre. On ne forme pas en huit jours un commandant ou un chef mécanicien. Là, autant chercher une aiguille dans une botte de foin.
    C’est alors que Hartenstein aperçoit près de lui un radeau sur lequel est allongée une femme à demi nue et des hommes, pataugeant dans l’eau, qui s’accrochent aux bords. Plus loin, deux autres naufragés s’agrippent à une caisse d’oranges dont les fruits – image dérisoire – s’étalent sur l’eau. En voyant le sous-marin si près d’eux, les deux hommes se mettent à crier : «  Aiuto ! Aiuto   (84)   !  » Du regard, Hartenstein interroge Mannesmann, le timonier de service. Est-ce que ce n’est pas de

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