C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
l’italien ? Mannesmann confirme : c’est bien de l’italien. De plus belle, de plus en plus fort, les naufragés de la caisse d’oranges appellent : « Aiuto ! Aiuto ! » Cela doit vouloir dire au secours. Des Italiens ? Bon sang ! Pourtant le Laconia est un navire britannique ! On vient même d’apporter son pedigree à Hartenstein : construit en 1922, White Star Line. En temps de paix, 1 580 passagers à bord. En temps de guerre, jusqu’à 6 000 hommes.
Toujours les cris : « Aiuto ! Aiuto ! » Décidément, il faut en avoir le cœur net. Hartenstein commande de repêcher les deux hommes. On leur lance un filin, on les hisse à bord, on les conduit à Hartenstein : ruisselants d’eau, à bout de souffle et de forces.
— Italiens ?
— Oui, Italiens !
Ils partent dans un flot d’explications que Hartenstein ne comprend pas. À peine saisit-il un mot ici et là. Il montre les flots dans lesquels nagent ou se débattent les autres naufragés :
— Italiens ?
Les deux rescapés approuvent : si, si, Italiens. Plus de 1 000. Des prisonniers. Cette fois, Hartenstein a compris. Là, dans les flots, au moins 1 000 soldats alliés de l’Allemagne risquent la mort par sa faute ! L’un des deux hommes porte au bras une large estafilade sanglante. Il explique : « Polacco ». Hartenstein sursaute : des Polonais, maintenant ! On réconforte les deux hommes, on les habille, on leur apporte à manger, à boire.
Hartenstein juge impossible de laisser se noyer sous ses yeux les Italiens qui continuent à appeler à l’aide. Il commande :
— Repêchez les autres !
On les tire sur le pont, par grappes. Beaucoup sont blessés. D’étranges blessures, très nettes, aux talons, aux mollets, aux fesses. Il manque des morceaux de chair. Ce ne sont pas les baïonnettes des Polonais. Nouveau coup pour Hartenstein : les parages foisonnent de requins, bêtes avides longues d’un mètre cinquante. Vite, elles s’approchent de leur proie, happent un morceau de chair et s’enfuient.
Parmi les nouveaux rescapés, un Italien parle un peu d’allemand. Hartenstein l’interroge : combien y avait-il d’Italiens à bord du Laconia ?
— Je ne sais pas exactement, au moins 1 500…
Hartenstein reste muet : 1 500 !
L’Italien ne s’arrête pas. Il raconte tout, la vie des prisonniers à bord du bateau, leur épouvante au moment du naufrage, leur cage fermée, les grilles enfoncées, le saut à la mer, les requins.
Hartenstein n’écoute qu’à demi. Il est tout à son problème. Et quel problème ! Comment ignorerait-il les difficiles rapports de son Führer avec le Duce ? Être alliés dans une guerre n’est jamais facile. Moins facile encore lorsqu’il s’agit d’Allemands et d’Italiens. Que dira Mussolini quand il saura qu’un sous-marin allemand est responsable de la mort de 1 500 Italiens ?
Il repense à la femme à demi nue sur son radeau. Et les autres, les civils ? Les femmes ? Les enfants ?
S’il tente de les sauver, il courra de grands risques. Il le sait. Une fois le naufrage constaté, il aurait dû s’éloigner à grande vitesse. Il n’a pas le droit d’exposer un sous-marin allemand. Mais laisser tous ces gens patauger ? Il se décide :
— Nous continuons le sauvetage.
Les sous-mariniers se sont mis à repêcher tous ceux que l’on aperçoit dans cette zone : une majorité d’Italiens. Or on repêche aussi un Anglais. Puis un autre. Les sous-mariniers hésitent. « Nous continuons le sauvetage », a dit Hartenstein. S’agit-il seulement des Italiens ? Il n’a pas précisé. Un marin ne demande pas sa nationalité à un homme à la mer. Tremblant de froid sur le pont, les Anglais regardent les Allemands d’un air terrorisé. Va-t-on les rejeter à l’eau ?
Un geste du commandant suffit. On a compris. Comme les autres, les Anglais sont poussés dans l’intérieur du sous-marin. Comme les autres, ils engloutissent une assiettée de soupe et une tasse de café. On compte bientôt quatre-vingt-dix naufragés dans le sous-marin. On en trouve partout. À 1 h 27, ce message part sur les ondes : « 13.9. Atlantique vers Freetown. Qu. ET. 5775 S I – 2 Meer I, 7 1100.400 – couvert vue 4 milles. Coulé l’Anglais Laconia QU 7721 – 310° – Malheureusement avec 1 500 prisonniers italiens. Jusqu’à maintenant 90 repêchés. Hartenstein. »
Le destinataire ? L’amiral Karl Dönitz, à Paris.
Les
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