C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
C’est alors que lui vient une idée. Dans un nouveau message à Dönitz, il ose l’exprimer : « Des centaines de naufragés surnagent avec des ceintures de sauvetage. Propose neutralisation diplomatique du lieu engloutissement . D’après écoute radio un navire inconnu était tout près du lieu du naufrage – Hartenstein. »
Boulevard Suchet, on réveille de nouveau Dönitz. Une neutralisation diplomatique ? Dönitz consulte ses officiers. Ils n’y croient pas : jamais les Américains ni les Anglais n’accepteront. On ne peut s’exposer à un refus. Certains – notamment Hessler – préconisent de mettre fin à l’opération de sauvetage. Le « bateau inconnu » ramassera les naufragés du Laconia .
Très sec, Dönitz fait taire l’officier. Sa décision est prise. L’opération de sauvetage continuera avec des moyens amplifiés. Un sous-marin italien, le Cappellini , navigue du côté de Freetown. Que les Italiens l’envoient ! Regardant la carte, Dönitz pointe le doigt sur Dakar. La Marine française y dispose de plusieurs navires. Ceux-ci, éprouvés par l’attaque anglaise de septembre 1940 et ne portant pas les Allemands dans leur cœur, observent une stricte neutralité, mais il s’agit de secourir des naufragés et pas d’une action de guerre. On demandera donc aux Français s’ils veulent bien participer à ce sauvetage.
La journée s’avance. Hartenstein se voit toujours seul au milieu d’une mer couverte de naufragés, des centaines et des centaines, obstinément accrochés à leurs radeaux ou à quelque épave. Il sait que les requins attaquent. Il sait et il voit. On repêche toujours. Le pont s’alourdit. Impossible d’ajouter un naufragé de plus à ceux qui emplissent le ventre du sous-marin. On les regroupe sur le pont du long fuseau d’acier. Bientôt, ils sont si nombreux qu’ils doivent se tenir debout. Les photos d’amateur venues jusqu’à nous sont éloquentes : de véritables grappes humaines en équilibre instable sur le pont du sous-marin.
D’heure en heure, Hartenstein mesure davantage le péril auquel il s’expose. À son tour d’appeler au secours. Il diffuse, en clair et en anglais, un nouveau message ainsi conçu : « Si quelque navire peut porter secours à l’équipage du Laconia naufragé, je ne l’attaquerai pas, pourvu que je ne sois pas moi-même attaqué ni par un navire ni par un avion. »
À 10 h 10, le lieutenant de vaisseau Marco Revedin, commandant le sous-marin italien Cappellini , reçoit l’ordre de rallier le lieu du naufrage du Laconia . Il obéit aussitôt.
Vichy réagit positivement. De son poste de commandement de Dakar, l’amiral Collinet prend, à 13 heures, toutes dispositions pour que le Dumont-d’Urville appareille immédiatement : « Rencontrerez sous-marins allemands qui vous donneront naufragés du Laconia. » Commandé par le capitaine de frégate François Madelin, le Dumont-d’Urville , après s’être approvisionné en vivres, en eau douce et en combustible, s’élance vers la destination qui lui a été assignée. Filant à 14 nœuds, Madelin redoute de n’arriver au mieux sur place que le 16 au soir, peut-être même pas avant le 17 au matin.
Collinet a également désigné, pour la même mission, l’aviso Annamite , commandé par le capitaine de corvette Quémard. À 16 heures, mieux informé sur l’ampleur de la catastrophe, il décide également de dépêcher sur les lieux le croiseur Gloire , commandé par le capitaine de vaisseau Graziani.
Lundi 14 septembre, 2 h 03 du matin. Dans un nouveau message à Dönitz, Hartenstein – il n’a pas dormi depuis trente-six heures – établit le bilan de la situation. Il a embarqué 400 naufragés sur son sous-marin. Ayant repéré sur la mer des canots qui n’étaient pas au complet, il y a fait descendre 200 de ceux-ci. Le navire inconnu ne s’est plus manifesté.
Aux passagers des canots et des radeaux, on a remis quelque ravitaillement. Pas à tous. Les survivants s’accorderont pour déclarer que, pour eux, cette journée du 14 septembre s’est révélée la plus atroce. Le soleil brûle ces hommes et ces femmes sans protection. L’eau manque. On se nourrit à peine. Un grand nombre meurent. On bascule leurs cadavres à l’eau après une courte prière.
La nuit du 14 au 15 apporte un certain apaisement Hartenstein se tient éveillé en buvant café sur café. À 3 h 40, il reçoit un message lui annonçant
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