Chasse au loup
Brémond lui avait prescrit du repos, mais, bien entendu, Margont s’était levé aux aurores car il avait déjà mille projets pour la journée.
L’armée française, massée dans l’île de Lobau, pansait ses plaies. Margont rejoignit son régiment et fut heureux de constater que Lefine, Saber et Piquebois s’étaient tirés indemnes de l’effroyable boucherie que l’on appellerait désormais « la bataille d’Essling » ou « la bataille d’Aspern ». Aussitôt, il se mit à la recherche du 8 e hussards, accompagné de Lefine.
— Je ne comprends rien à toute cette histoire ! bougonnait Lefine, les bras croisés comme un enfant buté.
Âgé de vingt-cinq ans seulement, Fernand Lefine possédait pourtant la débrouillardise des vieux singes. Il se montrait d’autant plus furieux que Margont l’avait interrompu en pleine « foire aux chevaux ». Il revendait illégalement à des cavaliers français une demi-douzaine de montures confisquées à des dragons autrichiens faits prisonniers. Prix dérisoires, superbe affaire pour les acheteurs, moins belle pour le vendeur à cause des intermédiaires et des complices, mais les petits ruisseaux font les grandes rivières. De plus, Margont s’était approprié l’une de « ses » bêtes. Si les honnêtes gens se mettaient à escroquer les voleurs, où allait le monde ?
— Je t’ai déjà tout raconté, répondit Margont.
En fait, Margont ne voulait pas avouer que cette Autrichienne qu’il connaissait à peine occupait une place importante dans ses pensées. Il avait donc menti sur ses motivations, prétendant qu’il avait offert son aide pour bénéficier de la vie mondaine viennoise.
— Il va y avoir à nouveau la guerre, Fernand, reprit-il. L’archiduc Charles aurait dû immédiatement attaquer Lobau après son demi-succès d’Essling. Notre Empereur : ou tu l’écrases et son armée tout entière avec lui, ou c’est lui qui te réduit en poussière. En matière de guerre, Napoléon n’accepte pas les justes milieux. Seulement, avant le prochain affrontement, il va y avoir de nombreux préparatifs. Donc nous voilà piégés ici pour plusieurs semaines. Soit nous passerons notre temps à jouer aux cartes dans cette île stupide, soit nous serons régulièrement invités à Vienne !
Vienne, Vienne, Vienne ! Margont ne cessait de penser à cette ville mythique. Lefine secoua la tête.
— Vous ne me dites pas tout, mon capitaine. C’est que je vous connais. On va encore se mêler d’une histoire qui ne nous concerne pas directement parce que vous avez la tête pleine d’idées sur l’humanisme !
Cela dit, Lefine pensait que son ami n’avait pas tort. Les ruines d’Aspern et d’Essling fumaient encore et, déjà, Napoléon avait jeté son armée dans une agitation frénétique. On entamait la construction d’un pont sur pilotis pour mieux relier Lobau à la rive ouest ; on installait des batteries partout, même sur les minuscules îlots voisins ; on défrichait pour aménager des routes ; on creusait et on clouait pour bâtir des bastions, des dépôts de vivres ou de munitions, une forge, des hôpitaux, des baraquements... L’armée française et ses alliés allemands s’installaient. Alors, effectivement, s’il y avait un moyen d’aller trinquer à Vienne plutôt que de piocher sous la chaleur dans cette fourmilière...
Margont, impatient comme toujours, entraînait Lefine à pas rapides au milieu des milliers de soldats. Un bon nombre, épuisés par les deux jours de combat, dormaient encore. Allongés à l’ombre des bois, leurs culottes blanches et leurs habits bleu foncé disparaissaient presque entièrement dans les hautes herbes vert tendre. Les coups de cognée claquaient comme des coups de feu affaiblis. Le bruit des scies emplissait l’air, tel le bourdonnement d’un essaim d’abeilles occupé à édifier sa nouvelle ruche.
Le 8 e régiment de hussards se reposait dans la fraîcheur des bosquets après avoir chargé tant et plus les Autrichiens. Margont avisa trois hussards qui se passaient de l’un à l’autre une pipe au tuyau interminable.
— Pourriez-vous m’indiquer où se trouve le lieutenant Relmyer ?
Un maréchal des logis-chef attrapa l’une de ses petites tresses pour la tortiller. Son dolman vert était éclaboussé de sang séché.
— Pourquoi vous voulez le voir, notre lieutenant, mon capitaine ? Si c’est pour lui dire quelque chose, on lui transmettra.
— Je
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