Chasse au loup
Napoléon ordonna donc au maréchal Masséna, « l’enfant chéri de la victoire », de le reprendre. Mais, de ce fait, plusieurs régiments de Masséna ne seraient plus disponibles pour protéger l’aile gauche, ce qui fragiliserait encore plus celle-ci.
Margont servait dans la division Legrand, qui appartenait au 4 e corps de Masséna. Trois des divisions de Masséna s’étaient massées au nord-est de l’aile gauche, tout près du centre. La division Boudet avait été laissée à cinq kilomètres de là pour constituer le sud-ouest du flanc gauche, avec seulement trois mille sept cents hommes. Elle faisait face aux quatorze mille soldats du 6 e corps de Klenau, qui demeuraient pour l’instant sur leurs positions.
Le 18 e de ligne se tenait immobile, en ordre de bataille, sous un ciel parsemé de volumineux nuages. Margont essayait de faire le point. Grâce aux nombreux panaches de fumée blanche et au vacarme des canons et des fusillades, il pouvait voir que les combats avaient débuté au niveau de la droite française. Il demandait leur avis à Lefïne et à Saber. Le premier était toujours au courant de tout et le second avait un talent particulier pour percer à jour les plans de l’état-major général. Lefine, habituellement serein, montrait de plus en plus de signes d’inquiétude. Il ne cessait de réajuster son habit. Ses doigts agités semblaient tricoter quelque chose avec son angoisse.
— Nous sommes sur l’aile gauche ! Les ailes, ça porte malheur ! Souvenez-vous d’Austerlitz, notre flanc droit avait été ravagé ! L’Empereur adore prêter le flanc, c’est bien connu.
Saber semblait tout aussi contrarié.
— On a de meilleures probabilités d’obtenir une promotion au centre que sur les ailes. Combien de temps encore vais-je m’éterniser à jouer les subalternes ? De grâce, qu’on me confie un régiment et vous verrez de quoi je suis capable ! Mais non, nous voilà sur le bord de la Route de la Gloire ! Quelle malchance !
— Il y a quelque chose que je ne saisis pas, s’inquiéta Margont. Puisqu’on nous a placés complètement au nord-est de l’aile gauche... qui constitue notre aile gauche ?
— Boudet, répondit Saber.
Margont, Lefine et Piquebois le fixèrent avec consternation.
— Il y a forcément plusieurs divisions... dit Lefine.
Effectivement, quand ils regardaient vers le sud-ouest, ils n’apercevaient que la division Boudet, minuscule rectangle bleu sombre cerné par l’immensité dorée des blés mûrs qu’aucun paysan n’était venu moissonner. Au contraire, au niveau du centre, on constatait un amalgame de troupes stupéfiant. Les régiments se tassaient les uns contre les autres, des colonnes se succédaient, des rectangles bleus suivaient d’autres rectangles bleus, des lignes des cuirassiers scintillaient sous le soleil, des batteries se positionnaient... Comparée à ces masses, la division Boudet paraissait dérisoire, petit caillou tombé par mégarde de la poche de Napoléon.
— C’est un appât destiné à attirer un très gros poisson autrichien, expliqua Saber. Mais, si le poisson est vorace et s’il se débat, il va tout emporter...
Or, si la division Boudet était mise en difficulté, il y avait de grandes chances pour que la division Legrand, l’unité la plus proche, soit envoyée à son secours. Margont réalisa alors que, après avoir été à son insu un appât dans le piège de Relmyer, il se retrouvait à nouveau appât, cette fois dans le piège de Napoléon...
On conduisait Masséna dans une calèche, car il s’était blessé quelques jours plus tôt, lors d’une chute de cheval. Son voyant attelage, tiré par quatre chevaux blancs, attirait les boulets qui rataient le maréchal, mais qui jetaient un à un à terre les membres de son état-major. Masséna vint superviser l’assaut contre le village d’Aderklaa. Il lança la division Carra Saint-Cyr, qui parvint effectivement à s’emparer des lieux. Les Saxons de Bernadotte la soutenaient sur la droite. Mais les soldats de Carra Saint-Cyr, galvanisés par leur succès, dépassèrent Aderklaa et se heurtèrent aux Autrichiens de Bellegarde. Un feu épouvantable décima les rangs de Carra Saint-Cyr. L’archiduc Charles arriva pour mener une contre-attaque et les Autrichiens reprirent le village. Les Saxons étaient en train de se replier lorsqu’ils furent chargés par la cavalerie légère ennemie. Sous les yeux consternés du maréchal
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