Chasse au loup
Débrouillez-vous comme vous voudrez.
Mme Mitterburg demanda à travers la porte si tout allait bien. Luise répondit sèchement que oui. Tout à coup, un barrage se brisa en elle et elle se sentit frêle, insignifiante, dérisoire. C’était peut-être la dernière fois de sa vie qu’elle voyait Margont. En une seule journée, la guerre pouvait le tuer et anéantir Lukas. Voilà qu’elle pouvait tout perdre à nouveau ! Elle avait reproché à Relmyer de ressusciter le passé au risque de commettre les mêmes erreurs, mais elle agissait pareillement en s’attachant à des gens qui seraient peut-être tous foudroyés le lendemain.
— Quand cette guerre cessera-t-elle enfin ? murmura-t-elle.
Mais cette peur n’était qu’une parcelle de la vague de crainte qui la submergeait. Vivement, elle prit Margont dans ses bras et le serra de toutes ses forces. Soudain, elle l’embrassa, encore et encore, ne parvenant plus à s’arrêter, craignant que, lorsqu’elle libérerait ses lèvres, il ne s’empresse de lui dire qu’il était obligé de partir. Sa mère frappa à la porte. Margont rompit le baiser. Luise se pencha alors à son oreille et lui dit de façon à peine audible :
— Désertez...
Il se dégagea de son étreinte, feignant de ne pas avoir entendu.
— Je dois rejoindre mon régiment. Dès que cela nous sera possible, Lukas et moi, nous reviendrons vous voir et nous examinerons ensemble ce que vous avez découvert sur Teyhern. Quand notre enquête et la guerre seront terminées, nous serons tous libres. Alors, vous et moi, nous pourrons...
— Pas de promesses ! l’interrompit-elle. Revenez vivants tous les deux, c’est tout ce que je désire pour l’instant. Lukas vous a entraîné dans cette histoire et vous, vous m’avez juré de veiller sur lui. Si l’un de vous deux meurt, je ne parviendrai jamais à pardonner à l’autre. Occupez-vous donc de rester en vie.
CHAPITRE XXX
Le 3 juillet, les divisions achevèrent enfin leur redéploiement.
Le 4 juillet, les corps d’armée reçurent des ordres précis concernant les manoeuvres qu’ils allaient exécuter. Pendant ce temps, l’archiduc Charles ordonna à l’archiduc Jean, son frère, d’abandonner sa position près de Presbourg, au sud, car il devenait clair que les Français n’attaqueraient pas dans cette zone. Les treize mille hommes disponibles de Jean devaient rejoindre le plus vite possible l’aile gauche de l’armée principale. Cependant, des pluies torrentielles retardèrent la transmission de ce message et cette force ne se mit en mouvement que le lendemain matin.
Vers vingt et une heures, Napoléon mit à profit le manque de visibilité dû à la pluie. Il commença à faire débarquer des troupes à l’aide des canonnières, des bateaux et des barques. Les Français refoulèrent sans mal les petites unités autrichiennes placées en surveillance. Les innombrables batteries de Lobau ouvrirent le feu sur les villages d’Aspern et d’Essling, immobilisant les troupes autrichiennes les plus avancées et faisant diversion. Napoléon envoya la division Legrand prendre position sur la rive est, mais au niveau de l’ancienne tête de pont, dans le but de laisser croire qu’il allait utiliser le même champ de bataille qu’au mois de mai. L’archiduc tomba dans ce piège et ordonna aux forces d’Aspern et d’Essling de bombarder la partie nord de Lobau. Il pensait que ses boulets semaient la destruction chez les Français et leurs alliés alors que ceux-ci se rassemblaient en réalité dans l’est de l’île. Charles fit également lâcher dans le Danube des barques enflammées qui ne parvinrent pas, cette fois, à endommager les ponts renforcés et protégés.
Vers une heure trente, on assembla les pièces détachées du premier pont préconstruit afin de relier la partie est de Lobau à la rive est. Celui-ci fut achevé en cinq minutes. Deux autres allaient suivre. Les régiments se mirent aussitôt à traverser en masse, inondés par la pluie et assourdis par le tonnerre et les bombardements.
Les hommes avançaient en rangs serrés qui se délitaient parfois au moment de prendre pied sur les ponts. Les officiers réorganisaient les soldats sur l’autre rive et les colonnes reprenaient leur marche. En attendant l’aurore, seules des torches permettaient d’y voir. D’heure en heure, la Grande Armée constituait une formation extrêmement dense : les corps d’armée de Masséna, d’Oudinot
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