Chasse au loup
Bernadotte, la majorité du 9 e corps saxon se désagrégea en une multitude de fuyards. Napoléon, qui s’était rué en catastrophe sur son flanc droit, retraversa le champ de bataille en sens inverse pour tenter de rallier les Saxons en déroute.
Margont faisait face à sa compagnie pour veiller au respect de l’alignement. Il vit avec étonnement des dizaines de visages exprimer l’effroi. Il se retourna et aperçut une nuée de soldats en fuite. C’était une cohue effarante. Des Saxons mélangés à des Français et à des Hessois couraient à perdre haleine en se bousculant les uns les autres. Cette vague se précipitait sur la division Legrand. Lefine fixait ce spectacle sans y croire, comme s’il s’agissait d’une vaste illusion optique.
— Eh bien, on n’est pas près de jouer « La Victoire est à nous »... murmura-t-il.
— Ne paniquez pas ! Maintenez les rangs ! s’exclama Margont.
Partout, des officiers se démenaient pareillement. Car si la division Legrand ne parvenait pas à demeurer en ordre de bataille, les Autrichiens l’attaqueraient à son tour.
Piquebois, jugeant très seyante son allure de blessé qui monte malgré tout au combat, en rajoutait avec une canne bien inutile. Il lançait :
— Ne craignez rien, le 8 e hussards est dans les parages ! J’ai été l’un d’eux, moi, bande d’effarés ! Je casse ma canne sur le crâne du premier qui file !
Saber se montrait plus vindicatif encore.
— On n’a pas besoin des Saxons ! Ce sont des traîtres ! Je suis sûr qu’ils l’ont fait exprès parce qu’ils sont de mèche avec les Autrichiens ! On les fusillera tous après la victoire.
Mais les rangs se désorganisaient, ondulaient, fusionnaient entre eux... La formation devenait de plus en plus instable. Les nombreux conscrits n’entendaient plus rien. Beaucoup n’avaient pratiquement jamais combattu. Jusqu’à présent, ils s’étaient imaginé que les batailles se déroulaient de façon simple. Napoléon comprenait tout d’un seul coup d’oeil, claquait des doigts pour faire avancer ses soldats et on remportait aussitôt la victoire. Cette débâcle les consternait. Ils avaient l’impression que c’était la Grande Armée tout entière qui s’enfuyait et ils ne voulaient surtout pas être les derniers à rester sur place... Margont vit sa compagnie se tasser sur elle-même, comme pressée par de gigantesques mains invisibles. Elle ressemblait au corps d’un enfant se recroquevillant sur lui-même.
— Restez calmes ! Maintenez les rangs, répétait-il tandis que les premiers fuyards passaient au pas de course tout autour de lui.
Le chef de bataillon Materre surgit à bride abattue et tira sur ses rênes. Sa monture pirouetta sur elle-même, s’arrêta enfin et piaffa. L’officier supérieur était outré.
— Capitaine Margont, tenez mieux votre compagnie ! Vous semez le désordre !
Le chef de bataillon repartit aussitôt. Son départ brusqué inquiéta plus encore les fantassins. Le gros des soldats en fuite arrivait maintenant sur eux et, comme ils ne pouvaient contourner la division Legrand, ils la percutaient, se faufilant entre les rangs, bousculant les fantassins alignés qui en profitaient pour se joindre à eux... Les fuyards constituaient une grêle qui emportait des fragments de la formation. Des officiers les frappaient du plat du sabre pour leur faire peur et les obliger à s’arrêter. La division entière se mit à reculer, masse gigantesque que les flots emportaient peu à peu. Saber se précipita sur Margont.
— A-t-on donné l’ordre de la retraite ? Devons-nous rester sur place ou nous replier ?
— Qu’est-ce que j’en sais, moi ?
Les sept mille hommes du général Legrand faisaient mouvement vers l’arrière d’un pas croissant. De fortes détonations retentirent, se succédant de plus en plus vite jusqu’à se mêler en un fracas continu. Les Autrichiens de Bellegarde avaient installé des batteries en avant du village d’Aderklaa et bombardaient les Français à bout portant. Les boulets emportaient des files de fantassins, causant d’épouvantables trouées. La division Legrand ressemblait à une créature titanesque à laquelle l’artillerie autrichienne arrachait des lambeaux de chair. Un boulet ricocha près de Margont et s’abattit sur sa compagnie, fauchant une série de jambes. Margont s’arrêta, pétrifié, puis il suivit mécaniquement la marche rétrograde.
— Serrez les
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