Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
à Bruges. Ces gens du Nord sont d’habiles artisans
et leurs draps surpassent les nôtres. Pour le reste, ce sont des pisse-froid
encore plus âpres au gain que le Juif le plus avide.
— Qu’attends-tu de moi ?
— Je te préfère ainsi, brave garçon. Mon frère et moi
avons besoin d’un homme assez habile pour s’introduire dans l’entourage des
marchands de Lisbonne et du roi du Portugal, afin de glaner le plus de
renseignements possible sur leurs projets. Cet homme doit être assez discret
pour ne pas éveiller les soupçons, et nul ne doit savoir qu’il est à notre
service.
— Je ne suis qu’un modeste commis. Comment pourrais-je
paraître à la cour ou discuter avec les négociants ?
— À toi de t’inventer un passé pour mieux assurer ton
avenir. Un Génois est forcément menteur. Il te suffira de faire honneur à notre
réputation ou d’imiter ton père, qui n’est pas avare de belles paroles !
Arrange-toi pour qu’on te prenne pour un vieux loup de mer venu tenter sa
chance dans ces parages. Je veux tout savoir sur ce que trament ces maudits
Portugais.
*
Le 30 mars de l’an de grâce
1476
De Federigo Centurione à Paolo de
Noli
Mon cousin,
Nos affaires se portent fort bien et nous te savons gré
des efforts que tu déploies pour expédier nos marchandises de Lisbonne en
Angleterre et en Flandre. Tu as toute notre confiance et nous souhaitons que tu
restes ici le plus longtemps possible pour veiller à nos intérêts.
Sache que l’un de nos commis se rend secrètement au
Portugal pour une mission de la plus haute importance dont je t’entretiendrai
en tête à tête lors de mon prochain voyage.
Il est préférable pour l’instant que tu ignores son
identité et nous lui avons d’ailleurs ordonné de s’abstenir de prendre contact
avec toi. Redouble cependant de vigilance si l’on te signale ici l’arrivée d’un
jeune Génois accompagné de son frère et veille à ce que lui, et lui seul,
trouve un emploi en rapport avec ses compétences. Nous savons que les autres
négociants génois de Lisbonne te font une confiance aveugle et qu’ils ne seront
pas surpris du service que tu leur demanderas. Abstiens-toi d’insister s’ils
manifestent la moindre réticence, c’est une affaire dans laquelle nous ne
devons pas donner l’impression qu’elle nous intéresse au plus haut point.
Federigo.
*
Le 10 juillet de l’an de
grâce 1476
Mon père,
C’est avec douleur que je vous écris pour vous annoncer
que j’ai décidé de quitter Savone et la boutique de ce chenapan de Giacomo
auprès duquel vous m’avez placé comme apprenti. Je n’ignore pas qu’il ne
manquera pas de se plaindre auprès de vous du mauvais tour que je lui joue.
Mais c’est le payer en retour pour les coups dont il m’accable et qui sont mon
seul salaire. J’ai décidé de suivre Cristoforo, mon frère aîné, le seul de
notre famille qui m’ait jamais manifesté un peu de tendresse et d’intérêt. Il
m’a expliqué que la fortune nous attendait à Lisbonne pour peu que je me montre
obéissant et bon travailleur. Je n’en sais pas plus mais je lui fais une
confiance totale, celle que vous m’avez toujours refusée.
Votre fils,
Bartolomeo.
2
Les hommes de Sagres
De sa chambre située à l’arrière de la maison, Cristovao
entendait distinctement tous les bruits de la rue, les cris des marchands de
poissons, le martèlement des roues sur le pavé et le braiment obstiné des ânes.
À son arrivée à Lisbonne, il s’était installé dans le
quartier de la Mouraria, peuplé de Maures, pour la plupart potiers et nattiers,
qui y vivaient à demi reclus, autorisés à y conserver leurs traditions et leur
culte. Nulle Chrétienne, sous peine de mort, n’avait le droit de pénétrer dans
ces venelles dont les façades n’étaient percées d’aucune fenêtre. Leurs maris
ne s’y aventuraient que fort rarement. On les reconnaissait de loin. Ils
frôlaient les murs, vaguement inquiets, et certains se signaient furtivement
avant d’entrer dans la boutique où ils avaient des achats à effectuer.
Ali, le logeur de Cristovao, s’amusait fort de leur crainte.
Il y trouvait, disait-il, son compte. Ses clients avaient si hâte de s’éloigner
des lieux qu’ils en oubliaient de discuter le prix de ses jarres et de ses
vases. Ils s’empressaient de conclure la transaction avant de repartir pour la
ville haute, prévenant l’artisan qu’un esclave
Weitere Kostenlose Bücher