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Christophe Colomb : le voyageur de l'infini

Christophe Colomb : le voyageur de l'infini

Titel: Christophe Colomb : le voyageur de l'infini Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Girard
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sur un navire pour y servir de
souffre-douleur et de domestiques aux autres marins qui leur faisaient parfois
subir de cruels outrages. C’était ainsi, de toute éternité. Ces mousses
tenaient un rôle essentiel dans la vie du navire. C’est à celui de quart le
matin que revenait, après avoir récité le Pater Noster et l’ Ave
Maria, le soin d’appeler au service l’équipe de jour :
    — Sur le pont, messieurs les matelots de bâbord ;
sur le pont, sans perdre de temps, tous les membres du quart de monsieur le
pilote. C’est l’heure, debout, debout, debout.
    Les hommes se levaient, encore perdus dans leurs pensées.
Les uns s’étiraient nonchalamment et bayaient aux corneilles, les autres
avalaient à la va-vite un morceau de biscuit ou un quart d’oignon, avant de se
mettre aux ordres du maître d’équipage. En riant, ils donnaient une chiquenaude
au mousse qui se rendait sur le gaillard d’arrière pour saluer le capitaine
selon la formule rituelle :
    — Dieu nous donne de bonnes journées, un bon voyage,
bonne traversée pour le navire, sire commandant, maître et bonne compagnie. Amen.
    Le gamin avait rempli sa mission. Il aurait été cruel de le
lui reprocher. Pourtant, il avait rompu la magie du rêve. Cristobal en prenait
douloureusement conscience.
     
    Ce matin du 12 octobre 1492, il ne se trouvait pas à
Jérusalem, mais à bord de la Santa Maria , au milieu de la mer Océane. En
plus, ce n’était pas une journée comme les autres. Demain, ainsi qu’il l’avait
promis à l’équipage, si aucune terre n’était en vue, la flotte ferait demi-tour
et reprendrait la route de la Castille, faute d’avoir pu atteindre Cypango
après plus d’un mois de navigation en direction du couchant.
    Trois jours de sursis, c’est tout ce qu’il avait pu obtenir
des hommes quand ceux-ci s’étaient rassemblés sur le pont le 10 octobre au
matin, une scène dont il se souvenait avec précision, tant elle lui avait paru
défier les règles de la raison. Contrairement à ce que craignaient Juan Sanchez
et Luis de Torres, il n’avait pas eu à affronter de mutinerie. Les hommes ne
l’avaient pas menacé ou n’avaient pas essayé de le jeter à la mer comme cela
aurait pu se passer.
    Non, il n’y avait pas eu un cri, pas une huée, pas un mot de
reproche, pas une insulte ou un juron, rien qu’un silence terrible, pesant,
étouffant. Un silence que rien n’avait pu faire cesser. Quand Cristobal était passé
dans les rangs de l’équipage, interpellant chaque matelot par son nom, évoquant
telle ou telle anecdote, l’adjurant de parler, de lui dire ce qu’il voulait,
aucun n’avait bougé ni esquissé le moindre geste. Deux sabliers s’étaient
renversés sans que rien ne change. Quand Martin Alonso Pinzon et Juan de Cosa,
les capitaines de la Pinta et de la Niña, l’avaient rejoint à
bord, ils lui avaient expliqué que leurs propres équipages observaient le même
mutisme. C’était clair : les hommes étaient à bout et ils n’iraient pas
plus loin. C’était ainsi, mieux valait rentrer et ramener à bon port les trois
navires, ce qui atténuerait la portée de l’échec.
    Cristobal s’était résigné. Tout au plus avait-il exigé comme
une faveur ce qui n’était au fond qu’une évidence, ce délai de trois jours.
Martin Pinzon avait ricané. Ces trois jours, c’était peu ou prou le temps
nécessaire pour permettre aux bateaux de changer de cap et de trouver les vents
et les courants susceptibles de les porter vers l’Espagne. Cette distance, il
aurait fallu de toute manière la parcourir. Les hommes n’avaient donc pas cédé
grand-chose en acceptant ce délai. Mais ils avaient fait en sorte qu’il soit
considéré comme une marque de respect envers Cristobal, leur capitaine, cet
étranger dont ils avaient commencé par se méfier mais dont ils avaient vite
remarqué qu’il était meilleur marin qu’il ne le laissait paraître, et fort
soucieux de leur bien-être.
    Il les avait menés dans des parages où nul Chrétien ne
s’était jamais aventuré, il saurait les ramener jusqu’à Palos. D’ailleurs, il
n’était pas exclu qu’au cours du voyage de retour ils puissent aborder à l’île
d’Antilia ou à celle des Sept Cités, qu’ils avaient dédaignées à l’aller, comme
tous s’en étaient persuadés à certains signes. L’échec ne serait peut-être pas
aussi grand.
    C’est à tout cela que Cristobal songeait en ce matin du
12 octobre 1492

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